Plombé par une dette colossale de 5 milliards d’euros, le leader des services informatiques est toujours en discussion avec le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky pour la cession de Tech Foundations. Mais les négociations seraient de plus en plus difficiles compte tenu des conditions imposées par Atos, qui vient juste de changer de directeur général.
Atos doit rembourser plus de trois milliards de dettes d’ici fin 2025
Trois mois. C’est le temps qu’Yves Bernaert aura tenu au poste de Directeur Général d’Atos. La routine pour le groupe français en remue-ménage permanent depuis plusieurs mois. Il quitte le groupe « après une intense période de transformation dont le conseil lui est reconnaissant » assure Atos dans un communiqué. Yves Bernaert est remplacé par le directeur financier du groupe, Paul Saleh, « un dirigeant chevronné, doté d’une grande expérience en matière de finance, de redressement et de restructuration d’entreprises, notamment dans le secteur des technologies », fait valoir le président d’Atos, Jean-Pierre Mustier, cité dans le communiqué.
Arrivé en août 2023 en remplacement de Nathalie Sénéchault, Paul Saleh avait alors pour mission de faire un « grand nettoyage de printemps » chez Atos. Et cela faisait plusieurs semaines que le nom de celui qui est reconnu comme un « grand manitou » de la finance circulait pour prendre le poste de directeur général. C’est peu dire que les marchés financiers n’ont guère apprécié ces nouveaux remous. Le titre Atos perdait près de 15 % lundi à 4,2 euros pour atteindre son cours le plus bas depuis plus de 5 ans.
Outre qu’Yves Bernaert avait été nommé par l’ancien président du conseil d’administration d’Atos, Bertrand Meunier qui a quitté le groupe en octobre 2023, les désaccords entre lui et le reste de la direction d’Atos portaient notamment sur les négociations en cours avec Daniel Kretinsky pour la vente de Tech Foundations. Plutôt bien embarquées en octobre et novembre derniers, les discussions seraient aujourd’hui sérieusement ralenties.
Des conditions de vente inacceptables pour Kretinsky et une opposition à Airbus dans Atos BDs
Daniel Kretinsky, qui devrait, selon nos informations, rencontrer Jean-Pierre Mustier en début de semaine prochaine, était prêt à accepter de « meilleures conditions » pour le rachat de Tech Foundations en cas de « non-obligation » de rentrer au capital d’Eviden. Mais, les conditions imposées par la direction d’Atos pour la reprise de Tech Foundations ne lui conviennent plus du tout. « Atos a imposé des conditions inacceptables à Daniel Kretinsky, confie une source bien informée. C’est le rendez-vous de la dernière chance. Le deal lui-même ne va pas sauver Atos, mais si ça plante, sa survie est clairement compromise. »
Outre les négociations en cours avec Daniel Kretinsky, d’autres ont actuellement lieu avec Airbus pour une participation dans Atos BDs. Et selon nos informations, il n’est pas exclu que le fonds britannique TCI, dirigé par Chris Hohn et qui s’était opposé au projet de l’avionneur franco-allemand de monter au capital d’Atos en février dernier, manifeste de nouveau sa franche opposition à l’intérêt d’Airbus pour Atos.
Paul Saleh va aussi devoir « régler » le problème du « refinancement » et du remboursement des dettes accumulées par Atos, estimées 5 milliards d’euros et dont une partie devront être remboursées dans les deux ans qui viennent.
« Atos a déjà 500 millions de dette bancaire à rembourser en juin prochain, explique Nicolas David, analyste chez Oddo BHF. Pour cela, ils ont les liquidités a priori. Mais après, on monte à plus de 3,2 milliards de dettes bancaires et obligataires d’ici à fin 2025. Ils devront forcément passer par des cessions d’actifs et une augmentation de capital afin d’être en mesure de renégocier la maturité de la dette bancaire. Sinon il faudra passer par une procédure de conciliation. »
C’est alors au Tribunal de commerce de Nanterre que pourrait se jouer l’avenir d’Atos. Selon les informations du Figaro, Jean-Pierre Mustier, le président du groupe, aurait déjà demandé au tribunal de commerce de Nanterre de l’assister dans ses négociations avec les 22 banques créancières du groupe. Une information que Challenges peut, en partie, confirmer. Si la direction d’Atos a réfuté le 15 janvier avoir demandé la désignation d’un mandataire judiciaire ou l’ouverture d’une procédure de conciliation, elle serait bien entrée en contact avec Hélène Bourbouloux, la « papesse » de l’administration judiciaire, qui a géré les dossiers des maisons de retraite Orpea, pour lui transmettre des informations. Le recours au tribunal de commerce « est certes incertain mais semble inévitable », selon un observateur.
Et l’enjeu est de taille : « Soit l’administratrice estime que le problème d’Atos est limité à la renégociation du pool bancaire, soit que toute la dette doit être renégociée et là elle demandera l’ouverture d’une conciliation. La conciliation étant un processus consensuel, la société peut-être tentée de refuser, mais dans ce cas la mandataire peut demander au président du Tribunal de Commerce l’ouverture d’une sauvegarde et au quotidien un certain nombre de décisions demanderont l’approbation du mandataire », poursuit notre interlocuteur.
Dans ce cas les actionnaires, et notamment David Layani, pourraient perdre énormément d’argent comme ce fut le cas dans le dossier Casino, dont le plan de sauvegarde est également géré par Hélène Bourbouloux.
La pression de l’agence de notation S&P
La manœuvre est d’autant plus délicate que les négociations en cours avec les prêteurs sont largement conditionnées à la cession effective de Tech Foundations au milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. Challenges a contacté l’entourage du milliardaire tchèque qui a refusé de faire tout commentaire.
Et les difficultés ne s’arrêtent pas là. Loin s’en faut. Opposé à la vente de Tech Foundations, le fonds Alix AM, dirigé par Jérôme Ferraci, a assigné Atos, à l’automne 2023, devant le tribunal de commerce, pour demander une expertise de gestion. Le fonds, actionnaire minoritaire d’Atos et farouchement opposé au projet de vente de Tech Foundations menace toujours de poursuivre les administrateurs en responsabilité individuelle. Il a chiffré le préjudice potentiel à 1 milliard d’euros. Une audience est prévue devant le tribunal de commerce de Pontoise (Val-d’Oise), ce mercredi 17 janvier. Si le fonds obtient son expertise de gestion, il pourrait avoir accès aux comptes d’Atos et en savoir plus sur le poids et la répartition de la dette entre les filiales du groupe.
Enfin, les négociations sont aussi soumises à la pression de l’agence S&P Global Ratings, qui risque d’abaisser la note de crédit d’Atos fin janvier. L’agence d’évaluation financière avait déjà dégradé la note de crédit de long terme d’Atos de BB à BB- en novembre dernier, prévenant que « toute incertitude ou retard supplémentaires dans cette cession [de Tech Foundations] pourrait compromettre les négociations et accroître le risque de liquidité ».
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