“Surveillant le dossier au plus près, la plupart des responsables des grandes banques françaises, principales créancières du groupe, sont persuadés, selon nos informations, qu’Atos est appelé à connaître le même destin que celui d’Orpea : voir son sort tranché à la barre du tribunal de commerce.”
COPYRIGHTS MEDIAPART
Airbus s’invite à nouveau dans le dossier Atos
La direction d’Atos, poussée par l’exécutif, a repris depuis novembre les négociations avec Airbus pour lui céder ses activités stratégiques logées au sein de BDS. Mais le dossier de cession pourrait être beaucoup plus difficile à conclure qu’escompté.
17 décembre 2023 à 19h47
En finir ! En finir au plus vite ! Il existe au moins un consensus entre toutes les parties prenantes du dossier Atos : toutes veulent clore le sujet le plus rapidement possible. La cession des activités de Tech Foundations (infrastructures et services informatiques) au milliardaire Daniel Kretinsky qui devait n’être qu’une formalité, selon l’ancien président du groupe Bertrand Meunier, s’est transformée en une bataille inextricable.
Chaque jour apporte son lot d’attaques, de contre-attaques, de menaces juridiques, chacun cherchant à pousser son avantage. Le 14 décembre, le président de Onepoint, David Layani, qui avait été éconduit du dossier fin 2022, a annoncé avoir renforcé sa position d’actionnaire : profitant d’un cours à la casse, il détient désormais 11,2 % du capital du groupe après avoir investi autour de 60 millions d’euros.
Désormais intronisé comme premier actionnaire du groupe, il entend bien peser sur les négociations et les discussions en cours. Il a demandé trois postes d’administrateur au conseil d’Atos et exige une renégociation des termes de l’accord signé avec le milliardaire tchèque. Mais pour nombre d’observateurs, la dernière initiative de David Layani relève plus « du bruit médiatique pour exister dans le microcosme parisien » que d’une réelle avancée pour peser sur le sort d’Atos.
Car une autre partie est en train de se jouer, beaucoup plus sérieuse et sans lui : la direction d’Atos semble désormais déterminée à vendre au plus vite BDS, l’entité qui regroupe toutes les activités souveraines (supercalculateurs, simulation nucléaire, cybersécurité) héritées de l’ancien Bull.
Comme Le Figaro l’a révélé le 15 décembre, des discussions ont été engagées avec Airbus pour la reprise de cette activité. Interrogés, Airbus comme Atos semblent s’être donné le mot. L’un comme l’autre répondent « qu’ils ne commentent pas des rumeurs de marché ». Plusieurs sources nous ont confirmé l’existence de ces discussions avant même les révélations du Figaro : des pourparlers très discrets ont bien repris entre Atos et Airbus sur la vente de BDS depuis novembre.
Le démantèlement d’Atos par un autre bout
Mille fois évoquée, la vente de BDS est un serpent de mer dans le dossier Atos et qui fait fantasmer tout le monde. C’est l’entité qui a protégé Atos jusqu’alors de toute OPA mais celle aussi par qui le scandale est arrivé. Son avenir mobilise depuis plus d’un an les milieux militaires et de la défense et la Direction générale de l’armement (DGA). Elle a été à l’origine aussi de la tribune signée par 82 parlementaires LR dans Le Figaro en août, accusant le gouvernement de brader les actifs stratégiques et de la défense du pays. Cette tribune a été le déclencheur de la fronde des actionnaires d’Atos. La commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, à l’origine du mouvement de contestation, a lancé une mission d’information parlementaire sur Atos.
« Trouver une solution pour BDS est le seul sujet qui préoccupe l’exécutif ou plus exactement Alexis Kohler [secrétaire général de l’Élysée – ndlr], qui semble être le seul à gérer ce dossier à l’Élysée, car Macron s’en désintéresse. À partir du moment où les activités stratégiques sur la dissuasion nucléaire sont protégées, le reste l’indiffère : Atos est une société privée. Cela lui permettrait aussi de donner des gages à LR et de calmer la fronde politique », analyse un observateur, qui a requis l’anonymat comme toutes les autres personnes interrogées.
À peine arrivé à la présidence d’Atos en octobre, Jean-Pierre Mustier, ancien numéro deux de la Société générale et qui a succédé à Bertrand Meunier démissionnaire, a donc décidé de rouvrir le dossier. Alors que les discussions avec Daniel Kretinsky patinent – la direction cherche à revenir sur l’accord signé en juin dans lequel le groupe promettait un chèque de 1 milliard d’euros au milliardaire tchèque pour reprendre Tech Foundations –, la direction d’Atos a un autre motif pour reprendre les discussions sur BDS : il lui faut desserrer l’étau financier dans lequel le groupe est piégé.
La dette d’Atos s’élève à plus de 5 milliards d’euros et les échéances se bousculent. Même s’il peut négocier quelque délai, notamment pour une échéance de 500 millions d’euros due fin décembre, il n’a pas d’importantes marges de manœuvre : les créanciers bancaires sont à la porte d’Atos, s’inquiétant de plus en plus du délitement du groupe.
Seule solution pour Jean-Pierre Mustier, selon nos informations : accélérer le plan de démantèlement du groupe de services numériques. Car, en dépit des pressions de certains actionnaires, il n’a jamais envisagé d’autre stratégie que celle préconisée par l’ancienne direction et recommandée par les banquiers d’affaires et les conseils très intéressés par cette opération – plusieurs centaines de millions d’euros d’honoraires et de commissions leur seront dévolus en cas de succès. Pressé, Jean-Pierre Mustier a donc décidé de conduire cette stratégie par un autre bout, en vendant BDS d’abord.
« Je pense que la direction d’Atos est condamnée à vendre BDS. Compte tenu de la détérioration du groupe, cela semble être la solution financière possible. Même si cela risque de ne pas être suffisant, cette cession aiderait à régler le reste car le démantèlement, qui reste une erreur industrielle, semble désormais inévitable », explique un connaisseur du dossier. « Si BDS est vendu convenablement, cela permettrait au groupe de dégager de l’argent et d’alléger ses dettes. La vente de Tech Foundations à Daniel Kretinsky s’en trouverait facilitée : le groupe n’aurait plus besoin de faire une augmentation de capital pour le payer. Par la suite, il pourrait lancer une augmentation de capital seulement pour Eviden [les activités numériques restant au sein d’Atos – ndlr]. Mais ce serait plus facile. Car ce serait une entité aux contours précis », analyse-t-il.
Airbus/Dassault, l’éternelle guerre de la défense française
Bien que des négociations aient échoué sur la reprise de BDS au début de l’année en raison de l’opposition à la fois d’une partie de la DGA, redoutant de voir des éléments clés de la dissuasion française tomber sous la coupe des Allemands et d’une partie du conseil d’administration d’Airbus, les contacts ont repris entre la direction d’Atos et le groupe aéronautique. « Ni Thales ni Dassault ne sont intéressés. La DGA a fini par reconnaître qu’il n’y avait pas d’autre repreneur possible qu’Airbus », se félicite un proche du dossier. Pour lui, un accord pourrait être conclu très vite, « peut-être même dès la fin de l’année ».
Ce calendrier semble bien optimiste à d’autres observateurs. De nombreux obstacles sont encore à lever. À commencer par la guerre franco-française qui oppose les groupes de défense.
Faisant partie du décor politico-militaire depuis des décennies, elle est toujours présente dans le dossier Atos, même si elle se déroule à bas bruit. Si Thales a officiellement dit qu’il n’était pas intéressé par le dossier, Dassault semble continuer de surveiller de près le dossier. « Dassault est toujours intéressé, d’autant qu’il a besoin des supercalculateurs pour ses avions. Et il est favorable à participer à une solution française pour les activités stratégiques d’Atos. Il attend qu’on vienne le chercher. Mais ce qui bloque, c’est la succession de Charles Edelstenne chez Dassault », explique un autre connaisseur du dossier.
La succession de Charles Edelstenne est un autre serpent de mer du monde de la défense. Homme fort du groupe Dassault depuis des décennies – ce qui lui a permis de se faire une fortune colossale –, il est devenu encore plus incontournable depuis la disparition de Serge et Olivier Dassault : aucun autre membre de la famille n’est présenté en mesure de leur succéder pour diriger le groupe. Mais Charles Edelstenne a bientôt 86 ans. Depuis des années, il annonce son retrait de la vie des affaires pour toujours le reporter.
Cette fois serait la bonne. Mais le patron du groupe Dassault tarde à désigner son successeur. Plusieurs candidats sont sur les rangs. « Mais aucun ne veut prendre d’initiative par peur de se disqualifier aux yeux de Charles Edelstenne », raconte un observateur.
« On ne peut pas laisser le sort de la dissuasion nucléaire française dépendre de la succession du patron de Dassault. C’est grotesque. À force d’attendre qu’on vienne le chercher, Dassault finira par tout perdre », s’énerve un observateur, farouche partisan du groupe aéronautique.
Questions de prix
Seul candidat déclaré, Airbus a commencé de renouer les fils avec Atos pour reprendre BDS. Tenant compte des oppositions de la DGA qui ont fait capoter les premières négociations au début de l’année, un nouveau scénario est en train d’être étudié, selon nos informations : au lieu d’une prise de participation minoritaire dans Atos, proposée en février, Airbus reprendrait seulement les activités de BDS. Afin d’assurer la souveraineté totale de ces actifs stratégiques, ceux-ci seraient placés dans une structure ad hoc, sur le modèle des armes atomiques déployées par MBDA qui sont logées dans une entité spéciale, à laquelle seuls des responsables français ont accès, et Airbus, qu’un actionnaire passif.
RELIRE l’ARTICLE BLOG : SUR UN PROJET DE CO-ENTREPRISE POUR BDS.
Mais plusieurs problèmes sont encore à discuter, selon nos informations. D’abord celui du prix.
Depuis longtemps, des membres de la direction comme de nombreux actionnaires fantasment sur la valeur de BDS. Quand ils ont appris l’existence de négociations avec Airbus, certains ont commencé d’évoquer des chiffres astronomiques : BDS allait se vendre 3 ou 4 milliards d’euros, prédisaient-ils. Persuadés que le groupe allait être sauvé, qu’il n’y aurait pas besoin d’une augmentation de capital qui allait les laminer, les petits actionnaires se sont déchaînés : le cours a augmenté de 20,5 % dans la séance du 15 décembre pour atteindre 7,8 euros.
Leurs espoirs risquent d’être déçus. Airbus est le seul candidat à la reprise de BDS. Le rapport de force est en sa faveur et il le sait. « Le rachat ne se fera pas à 1,5 milliard d’euros. Ce sera sans doute entre 1,2 et 1,4 milliard d’euros », dit un proche du dossier. Selon nos informations – mais le schéma peut évoluer dans la négociation –, le groupe aéronautique, à ce stade des discussions, ne paierait qu’une toute petite partie en numéraire – autour de 200 millions d’euros –, tout le reste serait de la reprise de dette – autour de 1 à 1,2 milliard d’euros.
Est-ce suffisant pour permettre à la direction d’Atos de conclure la cession de Tech Foundations avec Daniel Kretinsky sans demander aux actionnaires du groupe une augmentation de capital pour payer le chèque qu’il attend ? Cela permet-il à Eviden, seule partie subsistante, de poursuivre ? Certains pensent que oui. « Le projet Eviden ne marche pas. Il restera trop endetté. Il n’a pas de management et dégage des marges insuffisantes », estime un observateur.
Au sein d’Airbus, un « climat peu amical »
Mais il y a un autre obstacle, qui bien que peu évoqué, est tout aussi difficile à franchir : les relations internes entre Français et Allemands au sein d’Airbus.
Lors des discussions du début d’année, le président d’Airbus, Guillaume Faury, s’était heurté non seulement à l’opposition de la DGA, mais aussi au veto des Allemands ne comprenant pas l’intérêt d’aller investir dans une affaire purement franco-française. Depuis lors, les positions ne semblent guère avoir évolué.
Depuis la création d’Airbus, les Allemands ont toujours été responsables des activités défense du groupe aéronautique – Airbus Defence and Space –, se trouvant en concurrence directe avec les groupes d’armement français, notamment dans l’aéronautique de défense. Ce qui n’a pas simplifié les relations. Celles-ci se sont compliquées avec le scandale de corruption d’Airbus, qui a poussé le président Thomas Enders à la démission. Elles ont encore empiré avec les tensions – qui ne sont désormais plus niées – entre Paris et Berlin, et leur vision très différente sur l’avenir de la défense européenne depuis la guerre en Ukraine. « Le climat n’est pas très amical au sein d’Airbus », euphémise un très bon connaisseur du groupe.
Le projet de reprise de BDS par Airbus est donc loin de faire consensus chez Airbus Defence and Space, qui serait la structure concernée par le rachat. « Ils ne voient pas pourquoi ils devraient payer pour racheter une affaire strictement française dans laquelle ils n’auraient pas leur mot à dire. Ils ont accepté la structure MBDA parce que c’était au moment de la formation du groupe. Mais ils ne veulent pas recommencer », explique ce dernier.
« Les structures juridiques, aussi élaborées soient-elles, ne protègent de rien. À la fin, c’est toujours le capital qui commande », relève un autre connaisseur, soutien de Dassault, qui redoute de voir la simulation nucléaire « tomber sous dépendance allemande ». Ses craintes semblent toujours partagées par une partie de la DGA. « Personne ne dit rien parce que personne n’ose parler par peur de s’opposer aux volontés de l’Élysée. Mais les préventions contre la reprise de BDS d’Airbus sont toujours les mêmes. Ils attendent de voir les propositions d’Airbus pour se prononcer et s’y opposer si nécessaire », considère ce témoin très implanté dans les milieux militaires.
Tous en prennent le pari : même si les responsables d’Airbus Défense and Space acceptent de reprendre BDS, avalisent une structure ad hoc où ils n’auraient aucun droit de regard, ils vont négocier très cher leur soutien. Ayant travaillé longtemps dans le groupe, cet ancien haut cadre s’attend à des « contreparties élevées ». « Ils vont négocier virgule par virgule pour renforcer leur pouvoir. Après leur avoir offert la parité actionnariale, au nom de l’amitié franco-allemande, que va leur lâcher Macron ? », se demande-t-il.
Tout cela risque de demander du temps, beaucoup plus de temps que ne l’escomptent l’exécutif et la direction d’Atos. En attendant, les compteurs financiers tournent. Le groupe de services numériques voit ses cadres dirigeants partir les uns après les autres. Les clients s’inquiètent, l’activité se délite.
Surveillant le dossier au plus près, la plupart des responsables des grandes banques françaises, principales créancières du groupe, sont persuadés, selon nos informations, qu’Atos est appelé à connaître le même destin que celui d’Orpea : voir son sort tranché à la barre du tribunal de commerce.
===
Restez automatiquement averti à chaque nouvel article du blog, au rythme maximal de 3 fois par semaine. Inscrivez-vous à notre NEWSLETTER. Cliquez ici. Vous pourrez vous désinscrire à tout moment. Nous utilisons un pluggin officiel WordPress agréé CNIL.
Tout ceci va dans le sens de la vente en 3 blocs qui comblent les parties prenantes (sauf peut-être les PP qui fantasment sur valos sans rapport à la valeur d’entreprise).
Comme il est mentionné des dettes sans capacité à rembourser faute de rentabilité suffisante implique mort à court terme.
La bonne nouvelle c’est que Atos en tant qu’activité ne disparaitra pas, les forces productives (80/90 % des effectifs seront repris à un titre ou un autre).
Ceci est d’autant plus urgent que onepoint ne peut rester longtemps 1er actionnaire d’eviden, qui plus est représenté au board.
C’est à la fois un concurrent d’eviden mais aussi des autres gros acteurs (CAP, accenture, sopra, etc.) avec lequel onepoint répond en groupement sur des AO majeurs.
Clairement cette situation peu claire sera un “tue l’amour” pour ces montages.
Donc on finalise la découpe entre la dinde et le champagne et on accélère en janvier.