Le fonds Alix PM a décidé d’engager une nouvelle offensive judiciaire. Reprochant l’opacité qui entoure la cession d’une partie des activités d’Atos, il a adressé une série de questions à la direction du groupe de services numériques et à son conseil afin d’obtenir une information « honnête et exhaustive ». Faute de réponse « sous huitaine », il entend engager une nouvelle procédure auprès du tribunal de commerce.
4 octobre 2023 à 19h07
Alors que la direction du groupe de services numériques se mure dans le silence, le fonds Alix PM a décidé de poursuivre son offensive judiciaire. Après avoir déposé plainte pour « corruption active et passive » auprès du Parquet national financier, il menace d’engager une nouvelle procédure auprès du tribunal de commerce afin de décrocher une expertise indépendante sur la situation du groupe s’il n’obtient pas les réponses à ses questions « sous huitaine ».
Dans une lettre adressée au président d’Atos, Bertrand Meunier, et aux membres du conseil d’administration, Jérôme Ferracci, directeur du fonds Alix AM basé à Singapour, explique que « l’opacité » qui nimbe la gestion d’Atos le conduit à entreprendre cette démarche. Les questions qu’il soulève sont celles que se posent tous les actionnaires parfois depuis des mois et encore plus depuis que la direction a annoncé avoir engagé des négociations exclusives avec le milliardaire Daniel Kretinsky en vue de lui céder les activités logées dans Tech Foundations.
Relevant le « flou » qui entoure cette cession, il demande que le périmètre précis des activités cédées soit rendu public, et surtout les conditions financières dans lesquelles cette opération doit se dérouler.
Interrogé pour savoir s’il avait reçu cette lettre et les suites qu’il entendait y donner, le groupe Atos nous a adressé cette réponse : « La société est toujours à l’écoute de ses actionnaires mais n’a pas pour politique de commenter tout courrier visant à la dénigrer et déstabiliser de mauvaise foi. Il n’y a aucun nouvel élément et la société a déjà répondu publiquement le 22 septembre à ces manœuvres. »
Une opération financière incompréhensible
Officiellement, Atos envisage de vendre ces activités représentant 62 % du chiffre d’affaires du groupe, soit environ 5,5 milliards d’euros, pour 100 millions d’euros. Le milliardaire devrait récupérer le nom du groupe, les brevets, les contrats les plus rentables – les autres restant au sein du groupe, mais pas les dettes. Atos fait valoir qu’il s’agit « d’une bonne opération » car le repreneur devrait également reprendre quelque 1,9 milliard d’engagements, essentiellement sociaux. Ce qui lui a permis d’affirmer qu’il cédait ces activités pour 2 milliards d’euros.
Ce n’est qu’après un certain temps que les actionnaires ont fini par décrypter ce qui se cachait derrière le montage présenté par la direction d’Atos : non seulement elle est prête à céder plus de la moitié de son activité pour 100 millions d’euros, mais elle prévoit également d’apporter autour d’un milliard d’euros à Daniel Kretinsky par le biais d’une normalisation des besoins de fonds de roulement de l’activité cédée. Pour débourser cet argent qu’elle n’a pas, la direction prévoit une augmentation de capital de 700 millions d’euros.
Céder une entreprise avec une moins-value de quelque 900 millions d’euros, en laissant 3 milliards d’euros de dettes aux activités restantes, sans avoir d’argent pour les développer… il y a des opérations financières plus intéressantes. Cela explique sans nul doute le « flou » et « l’opacité » qui entourent la communication de la direction d’Atos, provoquant une opposition grandissante des salarié·es et des actionnaires.
Afin de dissiper le brouillard, le fonds Alix PM réclame ainsi à la direction et au conseil d’Atos de s’expliquer, chiffres à l’appui, sur ce montage. Il leur demande notamment de justifier le bien-fondé de cette opération de scission, de décrire le montage exact de l’opération, de donner le montant précis des fonds qui seront apportés à Tech Foundations pour reconstituer son besoin en fonds de roulement, de présenter aussi un bilan financier exact de ce qui restera du groupe une fois la scission faite. Dernières questions et non des moindres tant elles empoisonnent le groupe depuis plusieurs années : combien d’argent a été dépensé pour rémunérer les conseils (banques d’affaires, auditeurs, experts, avocats) qui ont imaginé cette « brillante » opération et les noms des bénéficiaires.
L’assourdissant silence de l’AMF
Plus généralement, il demande « d’accéder à l’information financière de base, honnête et exhaustive que toute société cotée se doit de fournir à ses actionnaires, afin qu’ils puissent se faire une représentation juste de la façon dont l’entreprise est gérée ».
Derrière cette formulation se dessine une accusation partagée : tous les investisseurs – et même les analystes financiers – s’accordent désormais pour dénoncer l’absence de transparence de la communication financière d’Atos. Mais le reproche vaut aussi pour l’Autorité des marchés financiers (AMF).
Si elle avait exigé, conformément à sa mission et à ses obligations, auprès de la direction du groupe de services numériques, que celle-ci donne une « information exacte, précise et sincère », le fonds Alix PM ne serait pas obligé aujourd’hui de menacer d’engager une nouvelle procédure judiciaire. Avant lui, plusieurs fonds ont alerté les services du « gendarme de la Bourse » sur les dérives d’Atos. Mais rien ne se passe. L’AMF se tait et tente de se faire oublier. « Cette autorité “indépendante” attend le feu vert de l’exécutif », ricane le gérant d’un fonds. « Tant que l’Élysée défend le président d’Atos et soutient son projet, elle ne bougera pas. Elle est aux ordres. »
Décomposition accélérée
Le silence de l’exécutif sur Atos qui détient des activités stratégiques non seulement dans la défense, mais aussi dans nombre de nos services publics, finit par lui aussi peser. Officiellement, le pouvoir justifie sa distance par le fait de n’être pas actionnaire du groupe. Mais en coulisses, le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, manœuvre pour tenter de reprendre en main une situation devenue incontrôlable et de faire arriver à bon port la solution de rachat par Daniel Kretinsky. Cette ombre portée de l’exécutif bloque tout, même une solution de marché ou une OPA, armes d’un capitalisme financier dont le pouvoir par ailleurs se fait l’ardent défenseur. Car personne n’ose se manifester avant de connaître les intentions de l’Élysée.
En attendant, Atos se décompose à vitesse accélérée. La semaine dernière, le directeur de BDS Monde – la partie qui doit rester d’Atos – a été remercié et le dirigeant de BDS France a démissionné pour aller chez un concurrent. Dans la précipitation, Atos a annoncé le 3 octobre la nomination d’un nouveau directeur général, Yves Bernaert, le quatrième en trois ans. Cette arrivée provoque le départ de l’ancien directeur général, Philippe Oliva, censé depuis la semaine dernière reprendre la direction de BDS là où sont logées les activités stratégiques de défense et de cybersécurité. Dans le même temps, une administratrice, Caroline Ruellan, a démissionné de ses fonctions le même jour en reprochant au groupe « ses graves lacunes » dans la gouvernance.
Cette crise désormais multiple ne semble pas ébranler la direction. Alors que le cours de l’action a perdu plus de 60 % de sa valeur depuis le 1er août – il est en dessous de 6 euros –, Bertrand Meunier examine tous les moyens possibles pour repousser une assemblée générale extraordinaire, prévue normalement fin octobre, début novembre, qui pourrait lui être fatale.
« Ils vont finir par tuer Atos », s’énerve un actionnaire. « Au vu de l’évolution des événements, on ne peut désormais plus que se poser une question : à qui profite le crime ? Et dans le cas d’Atos, il semble bien désormais que cela soit un crime prémédité », renchérit un autre.
https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/041023/l-actionnaire-minoritaire-alix-pm-somme-atos-de-s-expliquer-sur-sa-gestion
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