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Les avocats du fonds Alix PM, actionnaire du groupe de services numériques, ont déposé une plainte contre X pour « corruption active et passive » auprès du PNF. La plainte vise deux dirigeants d’Atos, mandataires sociaux chargés de négocier la cession de Tech Foundations avec Daniel Kretinsky, qui leur a promis dans le même temps un généreux plan d’intéressement pour continuer de travailler avec lui.
22 septembre 2023 à 19h45
Le scénario catastrophe que certains redoutaient est en train de se réaliser : l’affaire Atos est désormais entrée dans une phase judiciaire. Mais celle-ci prend une tournure beaucoup plus dure qu’attendu.
Une plainte pénale contre X pour « corruption active et passive d’agents privés » a été déposée par le cabinet d’avocats Versini-Campinchi, Merveille & Colin, auprès du Parquet national financier (PNF) au nom du fonds Alix PM. Elle vise nommément deux dirigeants du groupe Atos – Nourdine Bihmane et Diane Galbe – mais aussi le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, candidat exclusif à la reprise des activités d’infrastructures et d’équipements d’Atos regroupées dans Tech Foundations.
Soulignant la dégradation constante de la situation du groupe de services numériques, la plainte, dont Mediapart a pris connaissance, revient sur le projet de cession au milliardaire tchèque, critiqué de toutes parts tant il paraît déséquilibré et défavorable aux intérêts du groupe et de ses actionnaires.
Selon les termes connus aujourd’hui, le groupe s’est engagé à apporter 1 milliard d’euros à Daniel Kretinsky pour reconstituer les besoins en fonds de roulement des activités cédées. Cet apport va se traduire par une perte nette de 900 millions pour Atos et le priver des ressources financières nécessaires à son avenir.
Jusqu’au 27 juillet – l’opération a été annoncée le 1er août –, Nourdine Bihmane, directeur chargé des activités opérationnelles de Tech Foundations, et Diane Galbe, ancienne directrice de Suez devenue depuis un an directrice de la stratégie du groupe, ont été les deux négociateurs quasi exclusifs de ce projet de cession pour le compte d’Atos face à Daniel Kretinsky pour s’assurer de leur maintien en fonction, après le rachat de Tech Foundations. Mais dans le même temps, les deux dirigeants, mandataires sociaux, se sont vu promettre des plans d’une valeur sous-jacente respectivement de 25 et 15 millions d’euros lorsqu’ils rejoindraient la société rachetée par Daniel Kretinsky.
Corruption active et passive
Interrogé sur la réalité de ce plan d’intéressement, Atos, comme le fonds EPEI – propriété de Daniel Kretinsky qui doit réaliser l’acquisition –, a reconnu l’existence de ce pacte. Mais tous les deux récusaient le conflit d’intérêts estimant que ce plan est légitime et conforme aux usages du private equity. Dans un entretien donné à La Tribune le 11 septembre, Bertrand Meunier niait l’existence d’un moindre conflit d’intérêts : « Ce point est une mauvaise polémique destinée à déstabiliser les dirigeants d’Atos alors qu’ils se battent pour la pérennité d’Atos, en particulier ceux de Tech Foundations […]. Les plans d’intéressement sont des outils très courants pour les hauts cadres. C’est pour s’assurer de leur implication dans la durée […] C’est l’acquéreur qui supporte le coût de ce “management package” qui dépend de l’obtention de performances futures. »
Cette présentation des faits est largement contestée par des cadres et d’anciens hauts cadres du groupe mais aussi par les actionnaires du groupe. « Nous ne sommes pas dans le private equity. Atos est une société cotée qui appartient aux actionnaires. Les dirigeants en sont les mandataires sociaux, qui ont des devoirs et des obligations : ils doivent veiller à l’intérêt social de l’entreprise et à ceux des actionnaires. Comment ne pas s’interroger quand de tels montants sont en jeu ? Les intérêts privés n’ont-ils pas pris le pas sur l’intérêt de tous ? », argumente un fonds d’investissement qui n’est pas Alix PM.
Les avocats d’Alix PM portent plus loin l’attaque, en se référant aux articles 445-1 et 445-2 du Code pénal relatif à la corruption active et passive. Selon la plainte, ces plans d’intéressement placent les deux dirigeants « dans une situation de conflit d’intérêts ».« On justifie mal “le droit”, pas plus que la normalité d’un accord d’intéressement aussi significatif au profit de deux directeurs généraux parachutés dans ces fonctions depuis moins d’un an », est-il relevé avant de poursuivre : « Si leur départ ne serait pas dirimanten cas de cession de Tech Foundations, leur participation aux négociations est, elle, d’une nécessité absolue pour EPEI. »
Pour les avocats, l’accord d’intéressement conclu a été « une incitation directe et non ambiguë au succès du plan de scission-cession ». Avant de conclure : « L’existence d’un pacte de corruption est caractérisée. »
Bête noire du pouvoir
Avertie de l’existence d’une plainte en préparation en début de semaine, la direction d’Atos a publié ce 22 septembre une lettre pour répondre point par point aux différentes critiques qui lui ont été adressées par les actionnaires et les fonds sur l’opacité de sa communication financière, ses changements de projets, la dégradation financière et boursière du groupe. Elle réfute toutes les critiques, soutenant que son projet est toujours le même, le meilleur pour les intérêts du groupe.
Toutes les attaques qu’elle subit ne seraient que des manœuvres de déstabilisation, des opérations pour favoriser les opérations de vente à découvert et la spéculation, et faire chuter le cours d’Atos. Le groupe avait déjà utilisé les mêmes arguments à l’égard des fonds qui critiquaient sa gestion, notamment le fonds Sycomore.
Aujourd’hui, les flèches de la direction d’Atos visent particulièrement Alix PM. Détenteur d’un peu plus de 1 % du capital d’Atos, le fonds est basé à Singapour, mais son bénéficiaire économique est Hervé Vinciguerra, comme l’a expliqué Libération. Ce dernier est une des bêtes noires du pouvoir : proche d’Arnaud Montebourg, il a apporté 60 000 euros à Anticor, qui a engagé plusieurs plaintes contre les ministres du gouvernement.
Ce financement a été à l’origine de graves divisions au sein de l’organisation et d’une plainte portée par l’un de ses anciens membres qui a conduit à la suppression de l’agrément d’Anticor en juin 2023.
La tentation risque donc d’être grande pour certains de considérer cette plainte comme une nouvelle attaque contre le pouvoir. À ce stade, il s’agit d’une plainte d’actionnaires. Selon nos informations, d’autres actionnaires et fonds pourraient se joindre à cette offensive judiciaire.
https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/220923/atos-une-plainte-pour-corruption-active-et-passive-ete-deposee
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