L’odeur du sang attire de nouveau Martine Orange. Vous pouvez compter sur elle pour qu’elle ne lache pas l’affaire jusqu’à l’ouverture de la sauvegarde de même qu’elle s’est acharnée jusqu’à la démission de Meunier. Article pour une fois assez approximatif, contenant de fausses affirmations (sur la décote des obligations confondue avec la décôte de l’action, l’économie réalisée par Kretinsky en investissant pas dans Eviden (que nous avons dû corriger). Bref, attirée par l’odeur du sang, elle voulait être de la partie quoi qu’il en coute !
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L’annonce de la désignation d’un mandataire ad hoc pour superviser la restructuration de la dette chez Atos est sans doute l’avant-dernier acte de la longue débâcle du groupe. Tout se met en place pour suivre le scénario d’Orpea et de Casino.
5 février 2024 à 19h58
Depuis cet automne, Atos a engagé des négociations ardues avec ses créanciers. Face au mur de dettes – aux alentours de 5 milliards d’euros –, le groupe cherche par tous les moyens à sortir de l’asphyxie financière qui le menace. Mais la maîtrise du temps désormais lui échappe : les banques ont jeté l’éponge. Ces derniers jours, des obligations d’Atos se négociaient avec une décote de près de 50 % par rapport à leur valeur nominale, selon Bloomberg. Pour tous les créanciers, cela équivaut au signal de la fuite, chacun essayant de vendre au plus vite afin de limiter ses pertes.
« Je m’étonne que les créanciers se soient montrés aussi patients. Je m’attendais à ce qu’ils réagissent beaucoup plus tôt », dit un connaisseur du dossier qui avait évoqué ce scénario dès septembre. « Désigner un mandataire ad hoc était la meilleure chose à faire. Le management et le conseil d’administration sont totalement dépassés. Et ils redoutent leur mise en responsabilité, explique un autre observateur. Car Atos risque de faire perdre beaucoup d’argent à beaucoup de monde. Il y a tellement de tensions, de conflits d’intérêts, de vautours dans ce dossier que la nomination d’une personne en dehors peut ramener un peu d’équilibre. »
La direction d’Atos n’a pas donné le nom du mandataire qui sera désigné. Beaucoup s’attendent à voir sortir celui d’Hélène Bourbouloux. Atos a évoqué son nom à plusieurs reprises, dès décembre. Il est vrai que l’administratrice judiciaire est devenue la référence du petit monde des affaires parisien : elle sait gérer les dossiers qui pourraient tourner au scandale et embarrasser la place. C’est elle qui a mené les pourparlers lors de la faillite d’Orpea et de Casino.
L’allusion à ces deux derniers fiascos n’est pas pour rassurer certains : ils redoutent de voir Atos connaître le même sort, aboutissant à un démantèlement du groupe, des salariés sacrifiés, quand dans le même temps certains créanciers et intérêts privés se trouveraient ménagés. Sur le marché boursier, la réaction a en tout cas été immédiate : le cours est en chute libre. Après l’annonce, il a dévissé de plus de 28 % dans la journée. Depuis le début de 2024, la chute est de plus de 60 %. La capitalisation boursière d’Atos n’est plus que de 312 millions d’euros, quand en juillet elle s’élevait encore à 1,5 milliard.
Bateau ivre
L’avant-dernier acte de l’agonie d’Atos semble désormais avoir commencé. Dans le prolongement de la désignation d’un mandataire pour négocier la restructuration de la dette du groupe, la direction a annoncé qu’elle renonçait à son projet d’augmentation de capital de 720 millions d’euros présenté début août. « Les conditions de marché » ne permettent plus une telle opération, est-il expliqué dans le communiqué. Il y est ajouté que les banques JPMorgan et BNP Paribas se sont libérées de leur engagement à soutenir l’opération.
« Est-ce le retrait des deux banques qui a amené Atos à renoncer à cette augmentation de capital ? », s’interroge Didier Moulin, un des représentants CGT du groupe. Privé de toute information comme le reste des salariés, « afin que rien ne se retrouve dans la presse », a-t-il été expliqué aux représentants du personnel, il en est réduit à des questionnements. Le groupe comme JP Morgan et BNP Paribas ne s’étaient jamais expliqués sur la nature des engagements contractés à l’été.
Mais, même avant le retrait de ces banques, les conditions pour réaliser cette augmentation de capital n’ont jamais été réunies. Dès l’annonce, les actionnaires s’étaient révoltés face à ce projet porteur de leur ruine : leur dilution allait être massive, compte tenu de la faiblesse du cours. Mais de nombreuses interrogations avaient aussi surgi chez les connaisseurs du dossier : « Qui va accepter de mettre 700 millions d’euros dans un groupe qui n’a ni stratégie ni management, et qui perd de l’argent ? », se demandait alors un observateur.
La situation n’a fait qu’empirer. Atos ressemble plus que jamais à un bateau ivre : Bertrand Meunier, l’ancien président, a démissionné pour être remplacé par Jean-Pierre Mustier, ancien numéro deux de la Société générale. Mais la stratégie est toujours aussi incompréhensible. Le numéro deux du groupe, Yves Bernaert, n’a pas tenu quatre mois en poste. Le nouveau directeur financier, Paul Saleh, semble avoir pris l’exécutif en main. Les anciens dirigeants des activités ont démissionné ou ont été poussés vers la sortie. Et les équipes se défont au fur et à mesure que les ingénieurs et responsables partent à la concurrence.
Fin du deal avec Kretinsky ?
Mais s’il n’y a plus d’augmentation de capital, que devient le rachat de Tech Foundations, la partie des activités d’infogérance du groupe, par Daniel Kretinsky ? La levée de fonds auprès des actionnaires devait servir à financer l’acquisition de cette branche par le milliardaire tchèque. Lorsque les actionnaires avaient fini par comprendre le montage financier – soigneusement caché derrière des termes incompréhensibles – imaginé par la direction, leur fureur avait redoublé. Non seulement leur perte en capital allait être énorme, mais en plus l’argent levé allait servir non pas au groupe dont ils restaient actionnaires, mais à financer la reprise par Daniel Kretinsky.
Depuis son arrivée à la présidence, Jean-Pierre Mustier essaie de renégocier les termes du contrat passé avec Daniel Kretinsky sous la houlette de Grégoire Chertok, associé-gérant de la banque Rothschild. Un premier arrangement a été rapidement trouvé : la direction d’Atos a libéré le milliardaire tchèque de son engagement de prendre 7,5 % du capital d’Eviden – la partie restante d’Atos –, ce qui représente une économie d’environ 170 millions d’euros pour Kretinsky.
Ce dernier semble avoir accepté de faire une ristourne d’un montant quasi similaire, mais refuserait d’aller au-delà. « Daniel Kretinsky n’a aucune activité dans les métiers du numérique. Il ne peut donc pas compter sur des effets de synergie ou de taille, constate un observateur. La seule façon pour lui de faire une bonne affaire, c’est à l’achat. Il lui faut obtenir le milliard promis pour payer les restructurations, revendre et prendre la plus-value derrière. »
Les négociations semblent donc bloquées, même si Atos entretient encore la fiction de leur maintien. À intervalles réguliers, des rumeurs annoncent que l’opération entre Atos et Kretinsky est morte. Mais aucune confirmation officielle, ni d’un côté ni de l’autre, n’a jamais été donnée.
Selon certains observateurs, l’abandon de l’augmentation de capital annoncée par Atos n’est qu’une façon habile de présenter la fin de ce projet de rachat. « Depuis qu’Atos a repris les négociations avec Airbus pour lui vendre BDS [la branche qui regroupe toutes les activités stratégiques du groupe (supercalculateurs, dissuasion nucléaire, etc.) – ndlr], le groupe n’a plus la même urgence de vendre Tech Foundations. Il n’est plus obligé d’accepter les conditions léonines de Daniel Kretinsky », analyse un banquier. Il voit même dans l’annonce de la désignation d’un mandataire ad hoc le signe que les pourparlers sur BDS avancent. Toutes les parties prenantes se sont accordées pour que les discussions sur les activités stratégiques d’Atos soient menées dans la plus grande discrétion et ne tombent pas dans les négociations communes avec un mandataire.
Une nouvelle débâcle industrielle
Déroulant son plan, la direction d’Atos paraît désormais vouloir aller au plus vite pour restructurer la dette du groupe et vendre BDS. Mais au-delà, tout est flou. Elle ne présente aucune stratégie, ne dit pas ce qu’elle veut faire des activités conservées, quand s’arrêtera la valse des dirigeants, et qui pourrait prendre la direction.
« Ils n’ont pas changé : ils sont toujours sur les schémas élaborés par McKinsey et Rothschild. Ils pensent tous que le démantèlement est la seule solution. Et tous surveillent et cherchent comment en tirer parti », dit un connaisseur du dossier.
Les vautours dans ce dossier ne manquent pas.
« À un moment, il faudra quand même que les uns et les autres rendent des comptes et nous expliquent comment Atos en est arrivé là, interroge le cégétiste Didier Moulin. Pourquoi, après deux ans de restructurations, nous sommes encore plus mal en point qu’avant ? Pourquoi, alors que nous avons les mêmes métiers et les mêmes organisations que nos concurrents, nous n’arrivons à dégager qu’une faible marge alors qu’ils réalisent des marges à deux chiffres ? Où est passé l’argent du groupe ? »
Invité à témoigner devant la mission d’enquête du Sénat sur Atos le 20 février, le responsable CGT a bien l’intention de poser la question des responsabilités dans ce nouveau désastre industriel. Mais il n’est pas le seul. Le fonds Alix PM, qui a déjà déposé plainte pour « corruption active et passive » auprès du Parquet national financier cet été, se dit prêt à engager des poursuites sur la responsabilité des administrateurs, qui n’ont été qu’une chambre d’enregistrement ces dernières années.
D’autres surveillent attentivement l’attitude de l’Autorité des marchés financiers, qui accepte depuis des mois d’être le muet du sérail, en dépit des entorses répétées à toute la législation boursière et commerciale.
Car ce qui arrive à Atos n’est pas le fait d’un manque de chance ou d’une incapacité technologique. La destruction de ce groupe de services numériques est d’abord le résultat d’incompétences, d’accès d’hybris divers et d’un sentiment d’impunité couvert par l’entre-soi de la Place de Paris.
https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/050224/atos-le-demantelement-comme-seul-horizon