Le groupe de services numériques tente de surmonter une crise majeure en se scindant en deux. C’était compter sans le bras de fer qu’a engagé un actionnaire minoritaire avec le conseil d’administration. L’assemblée générale de fin juin promet d’être mouvementée.
DANS L’HEBDO DU 22 JUIN
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Sur le papier, Atos a tout pour gagner. Héritière du savoir-faire de Bull, un groupe d’informatique acquis en 2014, la société est la seule à produire encore des supercalculateurs sur le Vieux Continent, depuis son usine d’Angers, dans le Maine-et-Loire. Le fleuron français des services numériques s’est aussi fait une place dans les secteurs en pleine croissance du cloud, du calcul avancé et de la cybersécurité. “Atos est le seul acteur en Europe à avoir développé l’intégralité de la chaîne des technologies de l’information”, rappelle fièrement Didier Moulin, délégué de la CGT Atos-Bull. Mais depuis que Thierry Breton a troqué en 2019 ses habits de PDG d’Atos pour ceux de commissaire européen, les déconvenues se multiplient.
En 2021, son successeur Elie Girard fait du pied à DXC, avec une offre amicale estimée à 10 milliards de dollars. Le choix surprend. L’opération permettrait certes à Atos de se renforcer aux Etats-Unis, mais concerne une entreprise en difficulté, positionnée sur un marché de l’infogérance jugé peu porteur… Sans compter que l’américain pèse pas loin de 18 milliards de dollars (environ 15 milliards d’euros) contre environ 11 milliards d’euros pour le français. Le plus gros deal de l’existence d’Atos fait long feu, mais le cours de Bourse accuse le coup.
Un cours de Bourse divisé par plus de cinq
A ce faux pas stratégique viennent s’ajouter les réserves émises par les commissaires aux comptes portant sur les résultats de deux filiales américaines, qui gèrent une dizaine de pourcents du chiffre d’affaires d’Atos. C’en est trop : les actionnaires refusent d’approuver les comptes consolidés en assemblée générale. Dans le courant du mois d’août, les réserves sont levées, ce qui n’empêche pas le groupe d’être éjecté peu après du CAC 40, et Elie Girard, de son siège de directeur général. L’ancien patron d’Eutelsat, Rodolphe Belmer, lui succède. Il ne parviendra pas non plus à juguler cette descente aux enfers et finit par jeter l’éponge : arrivé en janvier 2022 chez Atos, il quitte le navire dès juin pour rejoindre ses vraies amours, les médias. Le tout, avec un parachute de 1,8 million d’euros, soumis au vote des actionnaires lors de l’assemblée générale du 28 juin.
Bilan : en quatre ans, le cours d’Atos en Bourse a été divisé par plus de cinq, faisant chuter sa capitalisation à 1,5 milliard d’euros. Le rebond de son chiffre d’affaires en 2022, confirmé au premier trimestre 2023, n’efface pas encore les quelque 4 milliards d’euros de pertes accumulées en 2021 et 2022. Sa marge opérationnelle stagne autour de 3 %, quand le rival Capgemini culmine à 13 %. Comment le champion français a-t-il pu en arriver là ? Pour certains, son destin tient en partie à l’héritage légué par son emblématique ex-PDG. “Sous l’ère Breton, nous avons connu une forte ascension, portée par une frénésie d’achats, et l’entrée au CAC 40. Mais cette course aux chiffres a empêché de miser sur le long terme et sur l’humain”, déplore Alia Iassamen, coordinatrice à la CFDT.
D’autant que certaines de ces opérations pèsent encore sur les comptes. C’est le cas de l’achat de Syntel en 2018. Ce coup à 3,4 milliards de dollars permet à Atos d’accélérer son essor aux Etats-Unis et d’offrir “un environnement “offshore” attractif”, selon le communiqué de l’époque, grâce à des bureaux en Inde. En clair, de proposer des prestations à bas coût, comme le font déjà ses concurrents. Atos gagne sur tous les tableaux, ou presque. Car depuis 2015, un litige oppose Syntel à l’éditeur de logiciels TriZetto. A la clef, 570 millions de dollars de dommages et intérêts. Début mai 2023, la justice américaine a statué en faveur d’Atos, ouvrant la voie à un allègement de la facture. Une épée de Damoclès dont l’entreprise se serait tout de même bien passée, elle qui n’a d’autre choix que de se transformer de fond en comble.
Résultats en cours d’amélioration
Elle est épaulée dans cette épreuve par McKinsey, qui accompagne Atos de longue date. Certains observent le bilan du cabinet de conseil avec circonspection : “C’est McKinsey qui a notamment servi au groupe le plan de réorganisation baptisé Spring, une usine à gaz abandonnée l’année dernière”, raille Didier Moulin. Une implication dans le projet que la direction réfute, indiquant recourir simplement aux conseils du cabinet pour sa transformation globale. Etranglé, Atos est dans le même temps contraint d’activer le remède de cheval que beaucoup redoutaient. A l’image d’IBM, l’entreprise a acté en 2022 sa scission. Ses activités d’infogérance, regroupées sous le pavillon de Tech Foundations, sont en cours de séparation des actifs relatifs au cloud, au big data et à la sécurité, réunis sous la bannière d’Eviden. Avec pour conséquence, une équipe de direction tricéphale.
En perte de vitesse, la première branche emploie la moitié des 112 000 salariés d’Atos, et génère un plus de 50 % du chiffre d’affaires global. Pour retrouver de l’air, le poumon historique d’Atos recentre ses activités, au prix d’un sévère dégraissage : 900 personnes ont déjà quitté l’entreprise, conformément à un objectif de suppression de 7 500 postes d’ici à 2026. Celui-ci se traduit par des mesures de départs volontaires et de retraite anticipée, essentiellement en Allemagne. Début juin, devant des analystes réunis à Paris, le directeur général de Tech Foundations, Nourdine Bihmane, s’est félicité des premiers effets de cette restructuration. Marge opérationnelle à nouveau positive, retour à la croissance prévu dès 2026 pour la branche… Atos voit-il la lumière au bout du tunnel ? “Les résultats opérationnels sont là, ce qui démontre le bien-fondé de notre plan”, insiste la direction, tout en se félicitant d’une scission qui avance “plus vite que prévu”.
Mais chez certains actionnaires, l’incrédulité demeure. Depuis ses bureaux cossus de l’Ouest parisien, le fondateur et associé de Sycomore Asset Management redoute que le découpage, auquel il adhère sur le principe, soit mené comme “une stratégie purement défensive pour financer le plan de redressement” de Tech Foundations. Plus qu’aux directions successives, c’est au conseil d’administration que Cyril Charlot impute la responsabilité des déboires d’Atos. Et surtout à son président, Bertrand Meunier, dont Sycomore demandera la révocation, avec deux autres administrateurs, à l’assemblée générale. “Tous les trois sont présents depuis plus de douze ans chez Atos. Ils n’ont jamais voté contre les décisions prises par les différents dirigeants. C’est pourtant leur rôle de défendre l’intérêt social de l’entreprise, lâche Cyril Charlot. Un remaniement doit avoir lieu pour valider la pertinence du découpage en cours, et créer un choc de confiance.”
Monté à 3 % du capital en ralliant d’autres actionnaires, Sycomore a déposé ses résolutions, parmi lesquelles la nomination de Léo Apotheker à la présidence du conseil. Ce Franco-Allemand de 69 ans a été PDG de SAP et de Hewlett-Packard. S’il a décidé “de remonter sur son cheval”, c’est pour s’opposer à un “déclin industriel inadmissible, surtout dans un contexte où la demande dans la digitalisation n’a jamais été aussi forte”, assène-t-il. Pour remédier à ce qu’il qualifie de “défaillance de la gouvernance”, le candidat s’engage à nommer “un tiers des membres qui comprennent vraiment la technologie” au conseil d’Atos, et à y créer un “climat d’ouverture, où le débat contradictoire est possible”.
Atos dénonce “des tentatives de déstabilisation”
Une fronde qui suscite la fureur de la direction du groupe de services numériques. Début juin, elle s’est fendue de plusieurs communiqués pour dénoncer “des tentatives de déstabilisation et de dénigrement”, confirmer son soutien à Bertrand Meunier et tâcler au passage le bilan de Léo Apotheker, jugeant que “ses antécédents dans chacune des sociétés [HP et SAP, ndlr] soulèvent des interrogations”. “Plus de la moitié du conseil a été renouvelée depuis l’an dernier, avec la nomination de cinq nouveaux administrateurs, dont quatre indépendants”, ajoute Atos. Sa direction se félicite de la recommandation d’ISS, la plus connue des agences américaines spécialisées dans le conseil en vote des actionnaires, de se prononcer contre les résolutions déposées par Sycomore.
Le bras de fer se cristallise aussi autour des discussions menées en vue d’une possible cession de Tech Foundations. Atos échange notamment avec l’homme d’affaires tchèque Daniel Kretinsky sur le dossier. “Il est urgent de prendre son temps et de négocier dans une meilleure posture”, tacle encore Cyril Charlot. Une vision partagée par des analystes : dans une note de début juin, Kepler Cheuvreux estime qu’il ne faut pas “vendre Tech Foundations à un prix réduit si [Atos] croit être en mesure de redresser l’activité”. En parallèle, Atos semble encore à la recherche d’un actionnaire pour Eviden afin de lui permettre de surfer sur un marché prometteur. Un temps en lice, Thales semble avoir définitivement laissé la place à Airbus. L’entreprise voudra-t-elle donner des gages à ses actionnaires avant l’assemblée générale ?
A Bercy, comme aux Armées, les mouvements d’Atos sont surveillés comme le lait sur le feu. Si l’Etat n’en est pas actionnaire, il compte sur l’entreprise pour mener à bien des contrats ultra sensibles. En témoigne son implication dans le programme Scorpion de modernisation des capacités de combat de l’armée de terre. Une chose est sûre : l’assemblée générale d’Atos, qui promet d’être mouvementée, sera suivie avec grande attention. Elle pourrait s’avérer décisive pour son avenir.
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