Cet article montre que le marché des supercalculateurs est en hausse, mais que HPC Bull Sequana sont un peu à la traine dans la hiérarchie mondiale. En plus Atos, Bull, Eviden, ça commence à devenir compliqué…
Enquête – A l’ère de la miniaturisation électronique, les très gros ordinateurs reprennent du service, portés par l’essor de l’intelligence artificielle. Une lutte stratégique s’engage entre grandes puissances.
On les croyait morts, mais les superordinateurs reprennent du service. Ils profitent aujourd’hui d’un marché mondial porteur, grâce à l’exploitation de l’or noir du XXIe siècle : les données au service de l’intelligence artificielle (IA). Ils sont même devenus un enjeu de souveraineté, au point que les Etats-Unis, dans leur guerre commerciale contre la Chine, vont jusqu’à priver leur rival asiatique de microprocesseurs destinés à ces machines. En Europe, les survivants sortent du bois. À commencer par l’Etat français, qui suit de très près les tractations autour du démantèlement du groupe Atos. Dans sa filiale Eviden figure en effet, une pépite à choyer, parmi les rares qui survivent en Europe : les supercalculateurs issus du rachat de Bull, en 2013. Une nouvelle usine devrait même sortir de terre à Angers d’ici à 2027.
Milliards de milliards d’opérations
Poids lourds de l’informatique, ces nouveaux supercalculateurs ont relégué leurs aïeux des années 1960 dans la catégorie poids plume. A l’époque, les fabricants pionniers s’appelaient IBM, Univac, Control Data Corporation, Cray Research ou Silicon Graphics Inc. La loi de Moore – prédisant le doublement de la puissance des puces électroniques tous les deux ans – leur a nui dans les années 1980-1990, mais il n’y a pas eu d’extinction de ces dinosaures. De quelques centaines de milliers d’instructions par seconde (ou KIPS, pour kilo instructions per second) pour les anciens, la génération actuelle atteint des millions de milliards d’opérations par seconde, exprimées en pétaflops/s (à partir de 1015) pour les modèles dits « petascale », voire des milliards de milliards d’opérations par seconde, en exaflops/s (à partir de 1018) pour les plus forts en calcul, dits « exascale ». « Si chaque personne sur la Terre faisait un calcul par seconde, il faudrait plus de quatre ans pour faire ce qu’un ordinateur exascale peut faire en une seconde seulement », indique le Danois Anders Dam Jensen, directeur d’EuroHPC, l’alliance européenne décidée à faire du Vieux Continent un paradis pour superordinateurs.
Le marché mondial de ces supercalculateurs s’emballe : la barre des 50 milliards de dollars (46,7 milliards d’euros) devrait être franchie en 2026, contre 32,4 milliards de dollars cette année. « Ces prévisions incluent le prix des superordinateurs, mais aussi les services de stockage, les logiciels, les applications et la maintenance, sachant qu’un superordinateur seul coûte entre 300 et 600 millions de dollars », précise Earl Joseph, également directeur exécutif du HPC User Forum. Les utilisateurs de ces superordinateurs viennent d’ailleurs de se réunir, les 6 et 7 septembre, à Tucson (Arizona), aux Etats-Unis.
Le top 10 mondial, en matière de chiffre d’affaires, des fabricants de ces superordinateurs est constitué aujourd’hui (sur un total matériel de 15,4 milliards de dollars en 2022), de HPE (Hewlett-Packard Enterprise), Dell, Lenovo, Inspur, Sugon, IBM, Atos (Eviden), Fujitsu, Nec et Penguin. Mais pour tenir son rang la bataille est féroce.
Modéliser la Terre
Dans la santé, les supercalculateurs sont enrôlés pour chercher à la vitesse grand V des antidotes aux nouveaux variants du SARS-CoV-2, tout en simulant la circulation mondiale des épidémies. La start-up française Qubit Pharmaceuticals, conceptrice de logiciels de découverte de médicaments, a ainsi acquis un supercalculateur hybride (HPC et quantique). « Ce supercalculateur, basé sur la technologie Nvidia, nous permet de réaliser des centaines de milliers de calculs, dont chacun valide ou non l’efficacité d’un candidat-médicament, sans avoir à les synthétiser ni à les tester. Nous ne synthétisons que les plus prometteurs. Nous l’utilisons actuellement dans le domaine du cancer et de l’inflammation », explique son PDG, Robert Marino.
La planète en redemande. Jensen Huang, le PDG américano-taïwanais de Nvidia, numéro un mondial des microprocesseurs pour cartes graphiques et supercalculateurs, était à Berlin, le 3 juillet, au sommet EVE (pour Earth Virtualization Engines). Son objectif : modéliser la Terre dans le cadre du programme Earth-2 afin de mieux simuler partout l’évolution du climat et visualiser le résultat avec une résolution de quelques kilomètres carrés. Le projet paneuropéen DestinE (Destination Earth) s’en inspire pour créer un jumeau numérique de la Terre.
Bien d’autres secteurs se sont mis au HPC : l’aéronautique, le spatial, la défense, le nucléaire, la cyberdéfense ou encore, plus récemment, la voiture autonome. Numéro un mondial de la voiture électrique, Tesla investit 1 milliard de dollars dans le sien, baptisé Dojo.
Sueurs froides
Lorsque, il y a dix ans, en juin 2013, la Chine a délogé les Etats-Unis de la première place des superordinateurs les plus puissants du monde avec son Tianhe-2 situé à Guangzhou, on a frôlé l’incident diplomatique. L’empire du Milieu s’est même maintenu numéro un mondial du HPC durant dix semestres consécutifs, d’après l’historique du Top500.org. Ce classement est devenu la référence internationale, depuis sa création, il y a trente ans, au sein de l’université de Mannheim (Bade-Wurtemberg), en Allemagne. Mais ce classement des 500 superordinateurs les plus puissants donne des sueurs froides aux Etats, qui considèrent leur HPC comme des étendards de souveraineté technologique. Et, depuis que la Chine a déclaré investir massivement dans ses propres supercalculateurs pour devenir le leader mondial de l’IA d’ici à 2030, ses rivaux étatsunien, japonais et européen sont sur le pied de guerre.
Les Etats-Unis mettent des bâtons dans les roues de la Chine en la privant de microprocesseurs américains Nvidia, Intel ou AMD pour superordinateurs. Joe Biden a signé, le 9 août, un décret présidentiel interdisant aux entreprises de technologie américaines d’investir en République populaire de Chine, notamment dans les secteurs des semi-conducteurs, de l’information quantique et de l’intelligence artificielle. Car, selon le président américain, cela risquerait d’être exploité à des fins militaires et de se retourner contre son pays.
Monter plus haut
L’Europe, de son côté, a créé en 2018 la société commune EuroHPC, basée au Luxembourg, dont le conseil d’administration est composé de trente-trois membres représentant des Etats, y compris la Turquie, et des industriels. La Commission européenne finance pour moitié. « L’objectif d’EuroHPC est de faire de l’Europe un leader mondial de la superinformatique et de renforcer l’autonomie numérique et la souveraineté européennes, en matière de HPC et d’informatique quantique », ambitionne son directeur, Anders Dam Jensen. Depuis juin 2020, EuroHPC se situe en troisième position du Top500 avec le superordinateur LUMI, cofinancé et installé en Finlande, de fabrication néanmoins américaine HPE Cray et à puces AMD. Est venu s’ajouter en quatrième position mondiale, depuis novembre 2022, Leonardo, installé en Italie, de fabrication française avec le superordinateur BullSequana d’Eviden, équipé de puces américaines (Intel et Nvidia).
« Le supercalculateur sera installé fin 2025, précise Laurent Crouzet, membre français d’EuroHPC et chef du département infrastructures et services numériques au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il répondra aux grands défis sociétaux et scientifiques par la convergence des simulations numériques, l’analyse de données massives et l’intelligence artificielle. Il sera ouvert à des utilisateurs tant publics que privés, dans la recherche et l’innovation. » La France dispose aussi du Jean Zay, superordinateur spécialisé dans l’IA, dont le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé, lors du sommet VivaTech de juin, le quadruplement de la puissance pour un montant de 50 millions d’euros.
« L’Europe est un endroit merveilleux pour construire l’avenir du supercalcul et de l’IA », a écrit, fin juin, Thierry Breton sur X (ex-Twitter) pour faire un appel du pied au PDG de l’américain Nvidia, qu’il rencontrait en Californie. Les Etats-Unis et la Chine tiennent le même langage. La bataille des titans de l’informatique est engagée.
https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/09/11/le-retour-de-la-course-aux-supercalculateurs-entre-etats-unis-chine-et-europe_6188810_3234.html
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