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Jean-Pierre Mustier parviendra-t-il à redresser la barre avant qu’Atos ne heurte l’iceberg ?
RÉCIT – Lesté de 5 milliards de dette, le groupe demande à Hélène Bourbouloux de l’aider à négocier avec ses créanciers. Les pourparlers en vue de cessions d’actifs compliquent la donne.
Un nouveau lundi noir, et un constat amer pour l’ex-banquier : Jean-Pierre Mustier doit faire face à une conjonction de vents contraires. La renégociation des conditions de la cession de l’activité d’infogérence d’Atos (Tech Foundations) au milliardaire Daniel Kretinsky reste toujours aussi compliquée, les discussions en vue de la vente de la branche cybersécurité (BDS) à Airbus semblent traîner en longueur, les créanciers s’impatientent et les marchés financiers s’inquiètent. « Les obligations pour l’année 2024 sont à 45 % de leur valeur faciale, ce qui veut dire que les marchés estiment qu’il y a une chance sur deux que la société n’aura pas assez de cash pour les rembourser », indique Matthieu Bailly, gérant chez Octo AM. « Le cours de Bourse est en recul de 60 % depuis le début de l’année, on n’est pas loin de la capitulation », abonde, sous couvert d’anonymat, un analyste crédit.
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L’ex-dirigeant de la Société générale connaît trop bien le refrain. La nomination d’un mandataire ad hoc est certes une procédure amiable et volontaire, et ne peut être engagée qu’à condition que la société ne soit pas en cessation de paiements. Elle n’en constitue pas moins la première marche d’un escalier qui pourrait se conclure par la prise de contrôle du groupe informatique de 100 000 salariés par ses créanciers. Ce n’est certes ni le souhait de la direction ni, à ce stade, celui des banques. La décision de demander l’aide du tribunal de commerce a néanmoins été prise dans la soirée de dimanche, après une réunion vendredi entre Atos et son pool de 22 banques. « Il est apparu utile, afin d’encadrer ces discussions et de faciliter une issue rapide, de solliciter la désignation d’un mandataire ad hoc », assure Atos.
Une façon détournée de reconnaître que les discussions patinent ? Les négociations pour repousser les échéances de dette après 2025 entrent en tout cas dans une phase décisive. Si le nom de la mandataire n’a pas été mentionné, c’est Hélène Bourbouloux qui devrait être nommée par le président du tribunal de commerce de Pontoise, conformément au souhait de Jean-Pierre Mustier. Début janvier, Le Figaro avait révélé que le président d’Atos préparait ce projet. L’arrivée de celle qui a ferraillé sur les dossiers Rallye et Orpea est vue d’un bon œil, en particulier par les créanciers. L’expérience des dossiers de restructuration difficiles et le talent de cette négociatrice à poigne pour trouver des points d’équilibre sont jugés comme autant d’atouts par toutes les parties. « Elle va apaiser le dossier, elle va donner des baffes à tout le monde », sourit un proche des créanciers.
Ces derniers se sont préparés pour cette nouvelle phase de la bataille. Le cabinet d’avocats Gibson, Dunn & Crutcher et le cabinet de conseil Ondra Partners ont été désignés pour représenter les intérêts des créanciers bancaires ; les détenteurs d’obligation, eux, se sont regroupés autour du cabinet d’avocat Willkie Farr & Gallagher et de la banque Messier & Associés. « On retrouve des acteurs qui étaient sur le dossier Orpea, souligne un banquier. C’est une bonne chose. Le fait de se regrouper évite la cacophonie. »
Une renégociation très complexe
Si l’horizon se dégage, le bateau Atos est encore très loin d’être arrivé à bon port. « Le problème substantiel reste entier, martèle un banquier. Il n’y a plus de sous ! » Les négociations avec les banques dépendent non seulement des talents d’Hélène Bourbouloux, mais aussi, et plus que jamais, de la capacité du tandem à la tête d’Atos (Jean-Pierre Mustier à la présidence du conseil d’administration, Paul Saleh à la direction générale) à céder des actifs pour desserrer le nœud financier.
Là encore, le groupe affiche sa confiance. Depuis le mois d’octobre, et sous la houlette du tandem, le « climat est plus serein, confie une source interne chez Atos. Ce sont deux financiers, ils s’entendent très bien, ils savent où ils veulent emmener le groupe. » À entendre certains, Jean-Pierre Mustier aurait également pacifié les relations avec des actionnaires parmi les plus virulents contre son prédécesseur Bertrand Meunier. « Il est ouvert et à l’écoute, prend conseil. C’est très positif pour l’avenir du dossier », reconnaît Hervé Lecesne, président de l’Union des actionnaires d’Atos (UDAAC). Comme lui, bon nombre d’actionnaires ont sans doute été rassurés par l’annulation, annoncée lundi, de l’augmentation de capital de 720 millions d’euros prévue jusqu’ici, qui aurait été très dilutive.
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Les marchés et les banques attendent désormais des actes sur le volet des cessions prévues. Or sur les deux dossiers en cours, la communication d’Atos reste laconique. Les discussions sur la vente des activités d’infogérence (Tech Foundations) à Daniel Kretinsky « se poursuivent sans certitude d’un accord », et celles avec Airbus sur les activités big data et cybersécurité (BDS, logé chez Eviden) « sont en phase de due-diligence », écrivait ce lundi Atos. Avec Airbus, les choses semblent plus simples. La négociation avance correctement, à entendre les deux parties, même si des observateurs impatients soulignent qu’elle traîne en longueur. Elle est facilitée par le fait qu’Airbus avait déjà approché Atos l’an passé pour reprendre 30 % de l’entité Eviden, dans laquelle est logé BDS. Une issue n’est cependant pas attendue avant le mois de mars. Et le prix a peu de chances d’atteindre le haut de fourchette annoncée (entre 1,5 milliard et 1,8 milliard d’euros), estime un bon connaisseur de l’avionneur. Autrement dit, la vente de BDS seule ne suffira pas à contenter les créanciers.
La renégociation de l’accord signé début août pour la cession de Tech Foundations à Daniel Kretinsky reste, elle, toujours aussi complexe. Outre le prix de vente qu’Atos souhaite revoir sensiblement à la hausse, se pose la question du transfert des garanties liées à certains gros contrats d’Atos à la société du milliardaire tchèque. Des engagements hors bilan qui se matérialisent très rarement, mais que personne ne veut garder chez soi. Début janvier, certains assuraient qu’un échec des pourparlers avec Daniel Kretinsky était inévitable ; d’autres évoquaient une « rencontre de la dernière chance imminente avec Jean-Pierre Mustier », pourtant impossible, dans la mesure où le président d’Atos était retenu loin de Paris ; d’autres encore faisaient circuler la rumeur, fantaisiste, d’un plan B de la direction d’Atos pour la cession de Tech Foundations, citant l’américain Kyndryl comme acquéreur potentiel. « Il n’en a jamais été question, assure un proche du dossier. Faire courir ce genre de rumeur ne vise qu’à déstabiliser les échanges avec Daniel Kretinsky. »
L’autre partie a été très lente à accepter bon nombre de ces conditions. Et nous n’avons pas encore atteint le point où je peux vous dire avec confiance que nous allons y arriver.
Paul Saleh
Cette fébrilité contraste avec l’impassibilité de Jean-Pierre Mustier face à la pression. « Il est convaincu qu’il n’y avait aucune urgence à clore le dossier Tech Foundations dans de mauvaises conditions car l’activité fonctionne bien, souligne un proche. C’est pour cela qu’il a pris son temps. » Mais il est désormais temps que les négociations reprennent. Selon nos informations, Jean-Pierre Mustier et Daniel Kretinsky se sont parlé la semaine dernière. « Le dossier n’est pas mort », assure cette même source. Histoire de complexifier la donne, l’accord signé à l’été prévoit des clauses suspensives au cas où des clients de Tech Foundations refuseraient le nouvel actionnaire. « Ces questions peuvent être résolues individuellement, mais si vous les prenez collectivement… L’autre partie a été très lente à accepter bon nombre de ces conditions. Et nous n’avons pas encore atteint le point où je peux vous dire avec confiance que nous allons y arriver », résumait Paul Saleh devant ses 500 plus hauts managers, il y a encore quelques jours. « Si les nouvelles conditions du deal étaient inacceptables, Kretinsky aurait déjà quitté la table, car l’infogérance n’est pas une activité centrale pour lui », avance pour sa part une source au fait des discussions.
Un dossier suivi de près par l’Élysée
Daniel Kretinsky aurait personnellement pesé auprès de ses équipes pour engager ce « deal », et pourrait avoir envie de le voir aboutir. La situation de Jean-Pierre Mustier est moins confortable. L’accord négocié à l’été par Bertrand Meunier est, en effet, dénoncé par des actionnaires minoritaires. S’estimant spoliés, plusieurs ont déposé plainte au pénal contre Atos. Du côté du groupe, on loue la probité de son président, qui a demandé à ne pas être rémunéré pour sa mission. Dès son arrivée aux manettes, ce dernier n’a pas hésité à dresser un cordon sanitaire en écartant Nourdine Bihmane (patron de Tech Foundations) et Diane Galbe (ancienne patronne de la stratégie d’Atos, désormais chez Tech Foundations), afin d’éviter les conflits d’intérêts avec Daniel Kretinsky.
Si les banquiers prennent la main, on ira de scissions en scissions avec ventes par appartement sans la moindre vision industrielle
Un cadre d’Atos
L’échec des négociations avec le milliardaire tchèque rendrait l’équation financière très compliquée pour Atos. « S’ils ne font pas le deal avec Daniel Kretinsky, ils tuent l’activité », estime une protagoniste. En interne chez Tech Foundations, certains confient d’ailleurs leur impatience. « Depuis l’annonce de la scission d’Atos en 2022, il a fallu ramasser certains clients qui ne croyaient plus à l’histoire et remettre l’entreprise sur ses pieds, confie un cadre en interne. Epei est la seule offre sur la table, et on a l’impression que la direction ne donne pas ses chances à cet accord », confie un cadre de l’entité. Sans cession de Tech Foundations, le risque d’une prise de contrôle d’Atos par ses créanciers deviendrait très élevé. « Si les banquiers prennent la main, on ira de scissions en scissions avec ventes par appartement sans la moindre vision industrielle », se désole un cadre d’Atos. Ce scénario effraie les minoritaires, et sans doute également Onepoint, premier actionnaire d’Atos. Le groupe de David Layani, monté à 10 % du capital à l’automne, reste discret sur ses intentions dans ce dossier. Mais il voit évidemment le potentiel de synergies entre son groupe et l’entité résiduelle Eviden, une fois cédés les pôles d’infogérance et de cybersécurité et data. Il aurait tout à perdre d’une vente à la découpe.
À l’Élysée et à Bercy, le dossier est suivi de près. « Nous ne laissons pas tomber les activités industrielles d’Atos », indiquait ce lundi soir le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire aux Echos. Des propos en lignes avec ceux tenus par Bercy il y a quelques jours au Figaro.« On ne laissera pas partir les actifs stratégiques à l’étranger », martelait-t-on ainsi dans l’entourage du ministre. Aussi, l’hypothèse d’un transfert des activités stratégiques du côté Airbus est vue d’un bon œil, contrairement à certains bruits de place laissant entendre que la présence de Berlin au capital de l’avionneur était problématique. « Airbus travaille déjà sur des sujets stratégiques et militaires comme les missiles et l’avion du futur, il y a la possibilité de mettre en place des garanties pour garantir l’ancrage des supercalculateurs en France », souligne une source proche des pouvoirs publics.
Depuis plusieurs jours en tout cas, le Comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri), rattaché au Trésor participe aux négociations d’Atos avec les banques. Preuve que Bercy redouble d’attention sur le dossier Atos. S’il n’est pas actionnaire, l’État ne veut pas être accusé de laisser périr ce fleuron national. À ce titre la mission d’information sur l’avenir d’Atos qui débute dans les prochains jours au Sénat présente un risque. Le grand déballage sera limité, car la plupart des auditions se feront à huis clos vu la sensibilité des activités d’Atos. Il n’est cependant pas impossible de voir fleurir une proposition de loi transpartisane de nationalisation d’Atos, estime un bon connaisseur de la sphère publique. Un scénario catastrophe pour la plupart des parties prenantes. Si le capitaine Mustier veut qu’Atos continue à battre pavillon tricolore, il ne souhaite sans doute pas que cela se fasse à n’importe quel prix.
https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/la-course-contre-la-montre-d-atos-pour-sa-survie-20240205
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