PORTRAIT – David Layani, fondateur de la société de conseil Onepoint, espère mettre la main sur les activités stratégiques d’Atos, qui brassent près de dix fois plus de chiffre d’affaires que lui. Un défi à la mesure de son énorme audace.
Par Jean-François Arnaud le 17.04.2023 à 09h00. Lecture 11 min.
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A la tête de Onepoint depuis 2002, David Layani a désormais un objectif en tête: racheter Atos.
Le lendemain, le fondateur du cabinet de conseil Onepoint accepte de se soumettre au jeu des questions-réponses: “OK pour une entrevue mais je ne veux pas être cité.” On promet d’y réfléchir. A l’heure dite, un vendredi soir, il est passablement épuisé après une longue réunion à Bercy. “Grosse migraine, mais puisque vous êtes là, on prend un verre.”
Une image contrôlée
Après des semaines à jouer au chat et à la souris, le face-à-face a donc lieu. Il débouche un excellent saint-émilion qui devrait être propice à la confession. Mais c’est mal le connaître. L’entrepreneur, si disert quand il s’agit d’expliquer les défis soulevés par l’intelligence artificielle et la mécanique quantique, rechigne à parler de lui. Il rêve, sans doute conforté par des communicants, qu’il peut contrôler son image dans les médias. Il veut connaître l’angle de l’article. Se plaint d’un précédent papier, pourtant peu hostile, dans lequel son entreprise était décrite comme un “petit poucet”. Il demande, vainement, à connaître le choix des illustrations.
C’est sans doute l’un des secrets de sa réussite. David Layani ne lâche rien, s’attache au moindre détail et sait devenir important pour ceux qu’il côtoie. Sa hantise, qui en dit long sur son parcours et sur son prochain défi: qu’on ne le prenne pas au sérieux. Il s’inquiète qu’on le décrive encore comme un sympathique autodidacte et non comme le stratège avisé, entouré d’une armée de recrues de la haute fonction publique, énarques, polytechniciens, normaliens et généraux d’armée, qui vient de lancer une offre amicale à plus de 4 milliards d’euros sur Atos, fleuron tricolore des services informatiques.
Au moment où le conseil d’administration de l’entreprise de services numériques et le gouvernement tentent de se faire une opinion sur les différents scénarios, David Layani joue gros, au sens propre du terme. Il se voit déjà à la tête d’un ensemble brassant 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Aujourd’hui, l’entreprise qu’il a créée à l’âge de 22 ans affiche 500 millions d’euros de chiffre d’affaires et emploie 3.300 personnes. N’importe qui se satisferait du chemin déjà parcouru. Lui en veut toujours plus, encouragé par tous ceux qui ont compris qu’il est très judicieux de le suivre.
Les grandes dates de David Layani
David Layani, à Paris, le 31 mars (Collection personnelle)
1979
Naissance dans l’est parisien.
1995
Quitte le lycée à l’âge de 16 ans.
1998
Embauché par EMC.
2002
Création de OnePoint.
2016
Inauguration du nouveau siège social à Paris.
2019
Remise de l’Ordre national du Mérite par Nicolas Sarkozy.
2023
Candidat au rachat d’une partie d’Atos.
Gourou tricolore des nouvelles technologies
Avant d’aborder Atos, le plat de résistance, la discussion porte sur des sujets légers. Il ne confirme pas que son père William et son oncle Gérard, musiciens professionnels, ont bien écrit des chansons pour Johnny Hallyday (Requiem pour un fou) entre autres, et ne sait plus lequel des deux a signé La Chenille, l’inoubliable succès de La Bande à Basile, incontournable dans les mariages depuis quarante ans. Il soupire: “On n’en a jamais beaucoup parlé.” Vérification faite auprès de la Sacem, c’est l’oncle.
Très bon élève en maths, il peine à rester en place et quitte le lycée Carnot, à Paris, en première S, sans le bac. Ado, il canalise son énergie débordante dans l’équitation et joue même au polo jusqu’à une mauvaise chute à l’âge adulte. Sa mère, Evelyne, est la dynamique patronne de l’agence événementielle ELO. Elle organise les mariages, barmitsva et fêtes d’anniversaires de la bonne société. Le carnet d’adresses le plus chic de Paris. “Elle m’a transmis le sens de l’hospitalité”, lâche celui qui a transformé son QG et ses huit bureaux en France et à l’étranger en campus accueillants et branchés. Contrairement aux autres sociétés de conseil qui s’invitent à l’année chez les clients, son entreprise les accueille en résidence. “Ce brassage nous apporte beaucoup, c’est une richesse.”
L’insaisissable président et fondateur de Onepoint est ainsi. Cela fait plus de vingt ans qu’il aide les grandes entreprises à devenir numériques, tel SFR qui lui a confié la refonte de ses sites clients online. Il est l’un des gourous français des nouvelles technologies, mais son vrai talent, là où il se démarque de la demi-douzaine de sociétés de la même taille qui œuvrent dans son secteur d’activité, et la raison pour laquelle il ne ressemble ni à Zuckerberg, ni à Bezos, ni à Musk, c’est l’humain. Une discipline où il excelle. Clients, responsables politiques, collaborateurs et parfois même journalistes, adorent son discours sur l’entreprise bienveillante, l’inclusivité, la place des femmes.
En janvier 2020, avec Isabelle Kocher, directrice générale d’Engie, dans les locaux de Onepoint. Depuis vingt ans, il aide les grandes entreprises à devenir numériques. Crédit: Twitter/DL
Dans l’oreille du tout-Paris politico-économique
Côté politique, son entregent fait des étincelles. Il connaît bien le couple Macron et le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.
En juillet 2016, avec Emmanuel Macron à l’inauguration du siège de Onepoint, à Paris. Côté politique, son entregent fait des étincelles. Il connaît bien le couple Macron et le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Crédit: Rachid Bellak
Lorsqu’il était à Matignon, Edouard Philippe – aujourd’hui administrateur d’Atos – lui avait aussi confié une mission sur les travaux d’intérêt général (TIG) avec le député Didier Paris en 2017.
En mars 2018, avec Nicole Belloubet, garde des Sceaux, et le député Didier Paris, pour la remise d’un rapport sur le travail d’intérêt général. C’est Edouard Philippe, quand il était à Matignon, qui lui avait confié cette mission. Crédit: ministère de la Justice
En juin 2018, avec Edouard Philippe et Henri Lachmann au centre de détention de Muret (Haute-Garonne) pour échanger sur la réinsertion des condamnés. L’ancien Premier ministre est aujourd’hui membre du conseil d’Atos. Crédit: Twitter/DL
Nicolas Sarkozy, administrateur comme lui du groupe Lucien Barrière, l’adore et l’a qualifié de “meilleur entrepreneur de sa génération” en lui épinglant l’Ordre national du Mérite, en 2019. Seule ombre au tableau, les deux hommes n’ont plus le droit de se voir depuis que David Layani s’est retrouvé mêlé à l’un des volets de la tentaculaire affaire de financement de la campagne de 2007 de l’ex-président. “Il a pris une balle perdue. On lui reproche d’avoir versé 60.000 euros qui auraient pu servir à modifier le témoignage de Ziad Takieddine”, confie un proche.
En juin 2019, lors de la remise des insignes de Chevalier dans l’Ordre national du Mérite. Nicolas Sarkozy, administrateur comme David Layani du groupe Lucien Barrière, l’adore. Crédit: Twitter/DL
Fort des valeurs humanistes qu’il professe et met en œuvre à Onepoint, Layani attire les talents et se constitue une tribu fidèle. “J’ai accepté de baisser mon salaire et refusé les propositions de grands groupes pour le rejoindre il y a quatorze ans, témoigne Matthieu Fouquet, DRH de Valeo avant de devenir secrétaire général de Onepoint. Depuis, il est devenu comme un frère, il a été mon témoin de mariage.” Cet attachement quasi-inconditionnel est partagé par les autres membres de sa garde rapprochée parmi les “partners” selon la terminologie interne, tels sa cheffe de cabinet Marina Villalonga, le patron des fusions et acquisitions Jean-Fabrice Copé et le directeur financier Michel Gautier.
C’est avec cette petite équipe qu’il échafaude, depuis près de deux ans, des scénarios d’acquisition d’entreprises beaucoup plus importantes. “Ils ont prévu une enveloppe d’1 milliard d’euros et visaient des boîtes spécialistes du conseil stratégique, positionnées sur des niches technologiques et ayant un besoin urgent de se moderniser”, raconte un proche. Après avoir envisagé Sopra Steria (5,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires) et Inetum (2,2 milliards), ils identifient Atos (11 milliards) comme une cible à la hauteur de leurs grandes ambitions.
Pas un rachat, une partie de poker
En proie à des difficultés financières, stratégiques et de gouvernance, Atos, dont l’action s’effondre en Bourse, n’a trouvé d’autre issue qu’une séparation de ses activités à haute valeur ajoutée (cybersécurité et transformation numérique) sous le nom d’Evidian. Ce projet de scission annoncé par Atos en juin 2022 attise les appétits. Il doit permettre de financer la modernisation des autres activités moins flamboyantes d’infogérance. Orange, Airbus, Thales pour ne citer que les Français sont aussi sur les rangs.
En septembre, Layani sort du bois. Ses partenaires, le fonds londonien ICG Partners et une dizaine d’investisseurs lui permettent de proposer 4,2 milliards d’euros et une offre qu’il présente comme la meilleure chance de protéger la souveraineté des activités sensibles d’Atos. Un argument qu’il sait très convaincant auprès des pouvoirs publics. Mais du côté d’Atos, l’accueil est plus que froid. Le président Bertrand Meunier ne le reçoit même pas. “David l’a interprété comme un mépris de classe, mais cela n’a fait que renforcer sa détermination”, confie un proche. Atos annonce même qu’il a choisi Airbus pour des discussions exclusives. Orange jette l’éponge. Thales s’éloigne. La messe semble dite, jusqu’au nouveau coup de théâtre, le 29 mars dernier: sous la pression de certains de ses propres actionnaires, Airbus stoppe les négociations. L’action Atos dévisse en Bourse.
De quoi relancer le scénario Onepoint auquel David Layani n’a pas renoncé. Car, entre-temps, l’homme d’affaires Daniel Kretinsky s’est dit intéressé par les activités d’infogérance d’Atos contre un chèque de 800 millions d’euros pour mener à bien leur restructuration. Une voie se dessine qui pourrait satisfaire plusieurs parties prenantes.
David Layani, qui détient seul 80% de Onepoint, est de nouveau dans la course et déploie tout son talent de négociateur en coulisses. Les transformations, le management des organisations, ça tombe bien, c’est son rayon! Il pourrait se contenter des activités numériques d’Evidian sans la cybersécurité, ni les supercalculateurs. “Il n’a pas les moyens de ses ambitions, il est très endetté”, croit savoir un concurrent. Un proche de David Layani réfute: “Archi faux! Sa dette est maîtrisée à moins de deux fois les résultats annuels quand les standards se situent entre 3 et 3,5 fois, avec un excellent taux de rentabilité avant impôts, à deux chiffres.”
La partie est serrée mais il est désormais assis à la table. Et en joueur de poker roué, arrivé 11e au championnat du monde à Barcelone en 2007, il sait qu’il n’est pas nécessaire d’avoir le meilleur jeu pour remporter la mise. Il faut être psychologue et maîtriser les probabilités, bref le facteur humain. Ça tombe bien, cela fait longtemps qu’il a fait de ce talent rare, un lucratif fonds de commerce.
Ce qu’ils disent de lui :
> Léa Salamé, journaliste: “C’est un bosseur maladif. Presque angoissé que tout s’arrête. A mes yeux, il incarne le patron moderne, pas vertical mais bienveillant et enthousiaste.”
> Henri Lachmann, ex-PDG de Schneider Electric: “Il m’a invité aux dîners qu’il organise chez lui avec des personnalités. Il n’est pas du sérail, c’est une force. Il n’a pas de visières et voit grand pour lui et son entreprise.”
> Xavier Couture, consultant: “Il m’impressionne par sa capacité à identifier tout de suite les enjeux de toute situation. Mais il est profondément humain et ne place jamais le profit avant le bien-être.”*
> Paul Morlet, fondateur de Lunettes pour Tous: “C’est un homme de réseau. Fidèle et loyal, il déploie une politique RH très adaptée à ses salariés. S’il dirigeait une marque grand public, il serait une énorme star.”
> Christophe Delaye, directeur général de Snef Télécom: “J’ai fait appel à lui lorsque je dirigeais le numérique de SFR. Il préconisait un service plus proche des clients sans recours à de la main-d’œuvre en Inde, alors que c’était devenu la norme. Son modèle s’est imposé.”
> Un concurrent: “Il est fasciné par la politique et passe beaucoup de temps avec des ministres et des énarques. La dernière chose à faire quand on dirige une entreprise.”
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