RÉCIT – Le torchon brûle depuis des mois entre le conseil d’administration et des actionnaires de long terme.
Les mois de juin orageux se succèdent chez Atos. La tension s’est déplacée mais elle est toujours aussi palpable. Le 14 juin 2022, le désaccord profond entre la direction générale et le conseil d’administration sur le meilleur scénario à adopter pour l’avenir du groupe technologique français avait abouti à la retentissante démission de Rodolphe Belmer le jour même de la présentation du plan stratégique. Cette année, le conflit ouvert avant l’assemblée générale du 28 juin se joue entre le conseil d’administration et trois actionnaires minoritaires de long terme d’Atos, emmenés par la société de gestion d’actifs Sycomore Asset Management, qui pèsent ensemble plus de 3 % du capital et des droits de vote de la société.
Au cœur du conflit: la mise en cause de la gouvernance du groupe, que les frondeurs jugent nuisible à la stratégie, au regard des performances du groupe ces dernières années. À travers le dépôt de cinq résolutions, Sycomore AM réclame la révocation de Bertrand Meunier, président du conseil depuis 2019 et administrateur depuis 2008, et de deux autres administrateurs de longue date, Aminata Niane et Vernon Sankey. Sycomore AM pousse la nomination de Léo Apotheker, ex-patron de HP et SAP et actuel administrateur chez Schneider Electric, qu’il verrait bien à la présidence du groupe.
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La crise couve depuis plusieurs mois. À l’été dernier déjà, après l’annonce du plan de scission, plusieurs petits actionnaires laissent exploser leur mécontentement et discutent pour tenter de faire bouger les choses. Parmi eux, Hervé Lecesne, fondateur de la société agroalimentaire Nactis, et Actis, le holding familial de Gilles Benhamou, alliés de Sycomore Asset Management dans cette bataille. Tous veulent le départ de Bertrand Meunier, qu’ils estiment responsable de la déroute boursière du titre (- 80 % depuis 2019). Pour eux, la rupture de confiance remonte à 2021, avec le rachat évoqué dans la presse du groupe américain DXC Technology. Cette opération de plusieurs milliards de dollars est tuée dans l’œuf par la réaction catastrophée des marchés. «La stratégie vendue à l’époque aux investisseurs était celle de petites acquisitions ciblées à forte croissance, mais elle n’a jamais été appliquée. L’épisode DXC a brouillé fortement la lisibilité sur la stratégie menée. La moindre des choses est de faire ce qu’on dit et de dire ce qu’on fait!», tempête un actionnaire frondeur. Suivront deux «annus horribilis» pour Atos avec deux avertissements sur résultats, des problèmes comptables sur des filiales aux États-Unis qui lui valent un avertissement des commissaires aux comptes, une perte de 4 milliards d’euros, des fonds propres réduits et la succession de trois équipes dirigeantes en moins d’un an.
Impossible dialogue
Remercié en octobre 2021, le directeur général, Elie Girard, est remplacé, après quelques mois d’intérim de Pierre Barnabé, par Rodolphe Belmer à partir de janvier 2022, poste qu’il quittera six mois plus tard. Sycomore AM dénonce un processus bâclé. «Une des missions importantes du comité de nomination, présidé alors également par Bertrand Meunier, est de préparer la succession des dirigeants, estime Cyril Charlot, associé fondateur de Sycomore AM. D’où notre étonnement, au départ d’Elie Girard, d’avoir été chercher Rodolphe Belmer, un passionné de médias, qui a démissionné le jour de la présentation d’un plan stratégique qu’il ne soutenait visiblement pas. C’est une erreur très importante du conseil.» En coulisse, l’héritage de Thierry Breton, PDG d’Atos de 2008 à 2019, est très critiqué. «Le rôle d’un conseil d’administration est pourtant d’aider les dirigeants à prendre les bonnes décisions. Ils sont administrateurs depuis au moins treize ans, ils étaient là à toutes les décisions!», dénonce un actionnaire minoritaire.
En octobre, Sycomore AM met en cause le manque d’expertise technologique au sein du conseil et réclame des changements. De fait, le conseil d’administration d’Atos évolue beaucoup, avec six renouvellements depuis l’AG de l’an dernier. Les rôles de président du conseil et de président du comité de nominations sont de nouveau dissociés. En mai, deux nouveaux administrateurs indépendants sont nommés en plus de Caroline Ruellan, arrivée en juillet 2022. Jean-Pierre Mustier, ancien directeur général de la banque italienne UniCredit, qui a mené son projet de transformation numérique, et Laurent Collet-Billon, ingénieur, ancien de la direction générale des armées. Les deux hommes remplacent l’ancien premier ministre Édouard Philippe et Lynn Paine. Mais les candidatures proposées par Sycomore AM, dont celle d’Émilie Siquidian, directrice générale de Salesforce France, et de Christopher Guerin, directeur général de Nexans, sont écartées par le conseil des nominations.
Le processus a été tellement bienveillant que certains ont effectivement préféré se retirer
Cyril Charlot, associé fondateur de Sycomore AM
«L’un d’eux s’est même volontairement retiré du processus, il ne voulait pas participer à cette campagne de déstabilisation», raille-t-on chez Atos. «Le processus a été tellement bienveillant que certains ont effectivement préféré se retirer», ironise Cyril Charlot, qui dénonce un «climat d’hostilité» avec le conseil. Il se plaint également de n’avoir jamais pu obtenir de rendez-vous avec des administrateurs indépendants sans la présence de Bertrand Meunier ou de Vernon Sankey. «Nous n’avons jamais pu avoir un rendez-vous avec René Proglio tout seul. C’est illustratif de la façon dont fonctionne ce conseil», dénonce Sycomore AM. «C’est l’actionnaire qui a rencontré le plus d’administrateurs depuis la dernière assemblée générale. Il y a eu cinq rencontres!», rétorque-t-on chez Atos.
Les relations sont devenues tellement tendues au fil des mois que le dialogue n’est plus possible. Sycomore décide que le pouvoir de décision sera donné aux actionnaires d’Atos lors de l’assemblée générale du 28 juin. S’ensuivent un grand déballage et une intense guerre de communication pour convaincre actionnaires institutionnels et petits porteurs de choisir leur camp. Le capital d’Atos est très éclaté. Le premier actionnaire, Siemens, détient moins de 5 %. Sycomore AM et ses alliés dépassent en juin le seuil de 3 %, comme les salariés actionnaires. «Nous avons eu beaucoup d’appels de petits actionnaires déçus du parcours boursier», assure Cyril Charlot.
Déstabilisation
De son côté, le conseil d’administration d’Atos fait front derrière son président. Depuis le début de l’année, la direction peut faire valoir des résultats qui montrent un début de redressement des activités historiques d’infogérance, destinées à être logées, après la scission, au sein de la société Tech Fondations. Atos a vu aussi se dissiper le nuage d’un litige judiciaire à 570 millions de dollars aux États-Unis. «Ouvrir aujourd’hui une crise de gouvernance reviendrait à effacer tous les résultats obtenus», insiste Bertrand Meunier, qui dénonce des attaques visant à déstabiliser le groupe. «Déstabiliser? Comme si l’entreprise ne l’était pas déjà assez!, lance-t-on chez les frondeurs. Nous pensons au contraire que ces départs pourraient provoquer un choc de confiance.»
«Il n’y a pas de preuve évidente que le conseil d’administration, qui a été considérablement renouvelé au cours des dernières années, ne fonctionne pas bien», estime ISS, l’agence américaine de conseil en vote aux actionnaires, dans un avis publié le 14 juin. Comme Glass Lewis, elle recommande de voter contre les résolutions dissidentes présentées par Sycomore. Sur le papier, les chances des frondeurs de l’emporter sont donc faibles. Mais les yeux seront surtout rivés sur l’écart de vote de la résolution demandant la révocation de Bertrand Meunier. «Si nos résolutions sont refusées, il faudra que nous ayons une discussion plus apaisée avec le conseil pour proposer de nouveaux administrateurs. Un vote important pourrait entraîner un dialogue un peu plus sérieux avec la direction», estime Cyril Charlot. Cette querelle intestine n’est pas sans conséquence sur les salariés d’Atos, inquiets des termes employés pour décrire la situation du groupe. Et sur les clients d’Atos. «Certains préfèrent attendre de voir ce qui va se passer», confie un proche de la direction.
Ce front interne ne facilite pas non plus les discussions en cours avec le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. Intéressé depuis plusieurs mois par la reprise des activités de Tech Fondations, il souhaiterait aussi une participation minoritaire dans Eviden, la société qui regroupe les bijoux technologiques d’Atos, selon une source proche des discussions. Eviden a besoin de fonds pour réaliser des acquisitions et profiter de la croissance du marché de la cybersécurité, du cloud et des supercalculateurs. Fin mars, Atos avait vu s’effondrer son scénario idéal: celui d’une prise de participation de 29,9 % par Airbus, qui a renoncé aux discussions après l’intervention d’un actionnaire mécontent… du groupe aéronautique cette fois.
https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/atos-une-assemblee-generale-a-couteaux-tires-20230627
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