A l’issue de deux ans d’une tempête boursière historique, le groupe Atos aura vu sa capitalisation fondre de plus de 8 milliards en 2020, à moins d’ 1 milliard d’euros fin 2022 (-92%).
Au-delà des difficultés internes à Atos, une analyse rationnelle ne suffit pas à expliquer certaines de ces évolutions.
Note de l’auteur: Ce propos ne constitue pas une accusation envers les acteurs cités, mais une prospective fondée sur des précédents documentés.
Publié le 23 décembre 2022.
Atos au cœur de la guerre économique ?
-Partie 1-
INTRODUCTION
A l’issue de deux ans d’une tempête boursière historique, le groupe Atos aura vu sa capitalisation fondre de plus de 8 milliards en 2020, à moins d’ 1 milliard d’euros fin 2022 (-92%).
Au-delà des difficultés internes à Atos, une analyse rationnelle ne suffit pas à expliquer certaines de ces évolutions.
Les aspects souverains, stratégiques et sensibles de ses activités, invitent à explorer les indicateurs de potentielles manœuvres externes à visées stratégiques.
Avec cette grille de lecture, un faisceau d’indices sur le cas Atos converge vers des intérêts américains. Tour d’horizon de ces indices, à la lumière des précédents connus.
1/ LES ACQUISITIONS STRATÉGIQUES
Dans un récent rapport rendu public, l’École de Guerre Économique (EGE) identifie certains fonds d’investissements américains comme « un outil de prédation financière contribuant à l’affaiblissement des économies concurrentes (…), notamment à travers la prise de participation et le rachat d’entreprises stratégiques, ainsi que par le rapatriement de leurs technologies sur le sol américain » * (00).
L’EGE constate notamment qu’une intégration au capital est « généralement réalisée de gré lorsque l’entreprise cible traverse des difficultés financières » plus ou moins opportunes. Ce qui conduit à des manœuvres de pressions diverses et adaptées selon les obstacles qui se présentent.
L’EGE et le Ministère de la Défense* (07) ont identifiés de nombreux fonds connus pour leurs liens avec les autorités des États-Unis, comme Blackstone, One Equity, Blackrock, KKR ou encore Colony Capital* (03 & 04)…
Précédents connus d’Acquisitions :
Les exemples d’acquisitions ou de participations forcées via ces fonds américains sur des entreprises sensibles françaises sont très nombreux.
Du côté des acquisitions stratégiques, parmi les plus emblématiques, on peut citer :
-Le rachat de Gemplus (le créateur des cartes à puces) par le fonds TPF (Texas Pacific Group) en 2006, qui est un cas d’école* (05). TPF est une filiale du fond “In-Q-Tel”, un fond directement créé par la CIA. Les autorités françaises le découvrent trop tard: l’acquisition a lieu après une première prise de participation, dans le cadre d’un affaiblissement organisé de la société et de son cours de bourse. La société, promise à être le leader des technologies de transactions électroniques et des télécommunications, verra finalement ses brevets devenir propriété américains* (11). (Au passage, de nombreuses similarités avec le dossier Atos apparaissent).
-Plus récemment, on peut citer aussi l’acquisition en 2018 de HGH Systems (start up prometteuse pour la Défense) par le fond américain Carlyle, décrit comme « un paravent de la CIA » par l’EGE* (06) ou celle de Hensoldt (capteurs, radars, filiale d’Airbus) par le fond KKR, connu pour des liens avec la Défense américaine, qui a occasionné une lutte entre états français, allemand et américain* (07). Les états européens ont fini par récupérer la propriété de la société, mais ses technologies et brevets ont transité par les Etats Unis.
Précédents connus de Participations :
Du côté des prises de participations, les exemples sont trop nombreux pour proposer une liste emblématique*. Le fond évoqué de la CIA In-Q-tell, détient par exemple à lui seul des participations dans au moins 310 entreprises françaises, comme les futures pépites de la défense Prophesee ou Photonis… Au moins une centaine de leurs participations ne sont pas déclarées. Par ailleurs, de nombreux autres fonds, plus discrets mais également suspects, multiplient les prises de participations à visées stratégiques. On en retrouve dans le cas d’Atos.
Dans le cas d’ATOS :
Suite à ces précédents, l’état français s’est constitué une capacité de contrôle des acquisitions d’acteurs étrangers. Pourtant, cela n’a pas empêché plusieurs tentatives américaines d’acquisition directe sur Atos, par différents fonds particuliers, qualifiés par certains de « bras armé » de la CIA.
Ainsi le 9 août 2021, après la baisse de plus de 40% du cours, l’agence Bloomberg rapporte qu’un consortium réunissant les fonds KKR, Advent, Civent et Bain, a approché Atos pour une offre informelle commune.* (08) Explorons ces fonds :
-Le fond KKR est un fond américain réputé proche de la CIA, d’où des personnels vont et viennent régulièrement. En 2011, ce n’est pas moins que l’ex patron de la CIA, le général Petraeus, qui rejoint la direction !* (09)
-Advent est un fond américain connu pour sa présence dans diverses entreprises sensibles dans de nombreux pays (en France par exemple, il est apparu dans l’affaire Safran I&S). En Angleterre récemment, son acquisition de l’équipementier Ultra Electronics a provoqué un scandale dans le pays suite à la perte de compétences stratégiques et prometteuses*. (10)
-Cinven est le seul fond non-américain : il est britannique. Mais il est connu pour sa proximité avec Carlyle. Ce fond américain déjà cité, est proche lui aussi de la CIA (Carlyle a par exemple été dirigé, entre 1989 et 2003, par Franck Carlucci, ancien directeur adjoint de la CIA). Exemple de cette proximité entre les deux fonds, Cinven a pris une participation dans Eutelsat, entreprise stratégique, après que Carlyle (allié pour cette opération à… KKR !) a été débouté par l’état français. Certains y ont vu un recours alternatif plus discret, en lieu et place du trop célèbre Carlyle.
-Bain Capital ne figure pas dans les cas documentés d’acquisitions réalisées dans des conditions suspectes, mais apparaît dans chaque étape du dossier Atos dès son effondrement boursier. On retrouve ainsi Bain & Company comme cabinet conseil dans le cadre de la vente de la filiale italienne en novembre 2022. On retrouve encore Bain Capital comme partenaire de Thalès dans une nouvelle offre à Atos en début 2022.
Au final, Atos ne donne pas suite à cette première offre issue de ce consortium de fonds, pour lequel l’état français aurait sans doute par ailleurs opposé son veto. Mais cette approche et l’identité des fonds peuvent signaler des visées stratégiques américaines sous-jacentes.
D’autre part, six mois après cette approche, une offre est formulée par l’attelage Thales-Bain, début 2022, auprès d’Atos. Thales est conseillée dans cette opération par le cabinet –américain ! – Centerview Partners. Si officiellement, Thalès assure vouloir récupérer les activités cyber-sécurité, (qu’elle valorise alors environ 3 milliards d’euros), de larges pans des activités d’Atos) auraient ainsi pu échapper à son contrôle et être transférés à Bain Capital.
Pour cette seconde offre, l’état se déclare initialement favorable. Mais il respectera finalement la fin de non-recevoir défendue par Atos.
Ces approches sont intervenues après une baisse massive du cours d’Atos, suite à une spéculation sur des informations elles-mêmes suspectes (qui seront explorées dans le chapitre 3). Ce qui nous conduit à explorer les méthodes de déstabilisations financières qui composent l’arsenal américain.
2/ LA DÉSTABILISATION FINANCIÈRE
Au-delà des fondamentaux et perspectives, la capitalisation d’Atos en 2021-2022 semble présenter une anomalie remarquable puisqu’elle ne représente que, selon les cas, 15 à 25% du montant proposé lors des récentes offres de rachats présentées. En effet, l’offre de première intention de Thales-Bain en début 2022 valorise Atos à un montant proche de 5 milliards d’euros*(01), et plus récemment, une offre initiale de Onepoint en octobre 2022 se montait à 4.2 milliards d’euros*(02).
Des instruments financiers identifiés existent pour intervenir sur le cours d’une action dans le but d’affaiblir la société. Dans le cas d’Atos, une faiblesse majeure réside dans un flottant disproportionné (90%) qui facilite d’autant plus les manœuvres de pressions indirectes et directes sur le titre.
Précédents connus :
Les exemples de déstabilisation financière par une pression baissière du titre ne peuvent être cités car il est par nature difficile de quantifier et prouver les motivations de ces prises de positions.
Mais on peut mesurer la puissance de cette pression en citant une référence historique célèbre : l’attaque de la livre sterling par le célèbre fond de George Soros en 1992 *(12). En shortant la livre, il accélère sa dévaluation et occasionne des milliards de livres de pertes pour l’Angleterre. Si des hedges funds peuvent faire tomber une monnaie, ils peuvent évidemment en faire autant pour des actions.
Dans un rapport intitulé « Les « hedge funds, arme de guerre économique » *(13), l’EGE évoque « des fonds d’investissement non réglementés (…) le plus souvent domiciliés aux Etats-Unis ou dans des paradis fiscaux, jouissant d’une liberté totale quant à l’utilisation des instruments [financiers] à des fins de couverture ou de spéculation et ayant la faculté de recourir à l’effet de levier. » Et de conclure : « Les hedge funds peuvent être une arme de guerre économique. La spéculation sur la baisse peut rapidement faire chuter le cours d’une action d’une entreprise. Cela a pour conséquence principale de réduire la puissance financière d’une entreprise, et de nuire ainsi à son développement. »
A noter par ailleurs qu’en 2010, le président de l’AMF Jean Pierre Jouyet admet (Reuters) : « Nous ne sommes plus en mesure de surveiller que la moitié des transactions. L’autre moitié s’effectue sur des marchés non régulés, de gré à gré ou marchés de gros comme les ‘dark pools’ »* (14). Cette déclaration visait précisément les agressions stratégiques américaines après l’échec d’un accord de supervision globale avec la SEC (US Securities and Exchange Commission).
Les hedges funds peuvent rassembler une masse de capitaux importante et donc, en se focalisant sur une société cotée, prendre son contrôle ou déstabiliser l’actionnariat ou le directoire de la cible. Leur action est par ailleurs d’autant plus amplifiée qu’ils peuvent créer un effet d’entrainement : dans une étude publiée par la Banque de France* (13), celle-ci détecte une méthode « d’incitation supplémentaire pour les opérateurs à imiter leurs prises de positions. Ceci a fortiori lorsque ces fonds mettent en place leurs positions auprès de banques qui transmettent l’information concernant ces flux à leurs proprietary desks, lesquels prennent à leur tour des positions semblables. »
Dans le cas d’Atos :
Les positions vendeuses déclarées sur le capital d’Atos ont culminé au-delà de 20% de sa capitalisation, plaçant Atos en 2021 et en 2022 sur le podium des actions les plus shortées du marché français. Dans ce contexte, des mouvements de fonds majeurs désignés précédemment comme ayant des liens avec les services américains, comme JP Morgan ou Blackrock *(03) (04), apparaissent lors de mouvements de franchissements de seuils déclarés auprès de l’AMF. Ils ont la surface financière pour offrir une contre-partie permanente aux fonds spéculatifs qui souhaitent vendre à découvert.
Certains des Hedges Funds qui agissent sur Atos, comme Greenvale Capital, sont remarquables de part l’importance et surtout la durée de leur exposition, malgré des gains et des risques potentiels élevés. Mais surtout à leurs côtés, de nombreux fonds demeurent « invisibles » en restant sous le seuil déclaratif de 5% du capital. Leur addition associée à leurs capacités d’effets de levier évoquées précédemment peuvent conduire à une pression baissière artificielle et au maintien d’un cours largement sous-évalué.
Il nous est impossible d’identifier les fonds non visibles, et de connaître les intentions des fonds visibles, donc de désigner des intentions dissimulées. Mais dans une étude évoquée dans le chapitre précédent, l’EGE* (03) cite d’ailleurs nommément Atos comme cible d’une « action en cours » à partir de 2021, décrivant l’enjeu suivant : « Enjeux : faire chuter l’action de ATOS, qui perd 40% depuis le début de l’année et la rendre vulnérable face aux fonds d’investissement et concurrents américains ».
En conclusion, ces éléments s’ajoutent à ceux du chapitre précédent pour conduire à envisager ces positions comme un outil de pratiques de déstabilisations financières volontaires à visées stratégiques. D’autant plus que des pressions baissières irrationnelles ont été particulièrement amplifiées à l’occasion de fuites, d’annonces négatives, et de rumeurs infondées, que nous allons donc explorer dans le chapitre suivant.
3/ LA DÉSTABILISATION INFORMATIONNELLE
La doctrine américaine veut que tous les moyens de l’État (économique, politique, renseignement, militaire…) soient mobilisables pour défendre les intérêts des États-Unis dans le monde. Des précédents ont pu démontrer que la diffusion de rumeurs infondées, de doutes artificiels sur des activités d’une entreprise, ou d’incitations à faire commettre des fautes diverses, peuvent constituer une méthode de déstabilisation à des fins d’affaiblissement et/ou de prises de contrôles de l’entreprisse. Le cas Atos est symptomatique car il se trouve qu’elle a été la cible de… L’ensemble des méthodes citées !
Précédents connus :
En septembre 1998, Alcatel se lance à l’assaut du groupe DSC Communications. Mais les USA la considèrent stratégique : la sanction ne tardera pas. Moins de dix jours après l’opération, des rumeurs affluent dans les salles de marchés* (15) : l’une d’elles affirme que le directoire aurait vendu des stock-options avant l’annonce des résultats semestriels. La rumeur s’avèrera fausse, mais le titre a décroché. Une autre indique que Goldman Sachs et le courtier Kleinwort Benson auraient vendu 2 millions de titres chacun. Nouvelle chute. Dans ce contexte, Alcatel publie des résultats déçevants : la la chute du cours est historique* : quasiment -40% en une séance* (16). Les rumeurs infondées se poursuivent : on évoque par exemple la démission imminente du PDG, M. Tchuruk. Encore faux.
Peu après ces attaques informationnelles et boursières, l’américain Lucent sort du bois et fait part de son intérêt pour Alcatel. La proie résiste plusieurs années, mais sa capitalisation boursière est faible, et les difficultés s’accumulent. La fusion avec Lucent finira par avoir lieu en 2006.
Dans le cas d’Atos :
-En avril 2021, les commissaires aux comptes sont contraints d’émettre des « réserves » sur les comptes consolidés, suite au signalement par deux filiales américaines de “doutes” suites à de possibles erreurs comptables”. Le problème semble relatif car les sociétés représentent moins de 11% du chiffre d’affaire et Atos précisera que ‘les comptes sont certifiés et [que] les états financiers restent inchangés”* (17). Pourtant, le cours dévisse de près de 20% sur cette information. Lorsque, à l’issue de l’audit, les “doutes” sont levés, le cours ne corrige étrangement pas la baisse infondée.
-En mai 2021, l’entreprise Finsur Corp, enregistrée dans l’Etat américain du Delaware, annonce avoir franchit le seuil de 5% du capital d’Atos. Cette annonce provoque un vent de panique chez Atos qui décide de saisir l’autorité des marchés financiers (AMF) pour “présomption de manipulation des cours“. En l’occurrence, le 21 mai, Finsur indique dans un autre avis être passé sous le seuil de 5% du capital, à 4,19% exactement et envisager “de continuer à vendre des actions et de sortir du capital”.
L’enquête détermine que Finsur Corp est détenue par un homme français de 26 ans inconnu du monde des affaires, et que les déclarations étaient totalement fausses* (18). L’accusé écope d’une amende dérisoire (800€) pour diffusion d’informations fausses ou trompeuses. Lors de l’enquête, il a assure qu’il ne savait pas que ses déclarations seraient rendues publiques. Une défense surprenante pour un individu qui a visiblement les connaissances pour enregistrer une société aux Etats-Unis. Si le cours de bourse d’Atos n’a pas subit de forte variation suite à ces informations fausses, les motivations précises et les liens éventuels avec les Etats-Unis de cet individu restent mystèrieux.
-Quelques mois plus tôt, en janvier 2021, le cours de bourse d’Atos s’effondre de plus de 13% suite à une information de Reuters indiquant son intérêt pour un concurrent américain, DXC Technology. L’opération semble en effet incompréhensible alors que l’entreprise DXC, qui opère sur une activité d’infogérance en déclin et qui est criblée de dettes, représenterait alors la plus grosse transaction réalisée jusque là par Atos : 10 milliards de dollars, alors qu’Atos pèse à ce moment 7 milliards de dollars. Par ailleurs ce projet entre en contradiction avec les ambitions affichées en termes d’acquisitions, qui devaient se concentrer sur les activités Cloud ou Cyber-sécurité notamment.
Très rapidement, le projet est abandonné par le directoire d’Atos. Mais le cours ne remonte, encore une fois, quasiment pas la baisse engendrée par cette information. Si la faute semble être attribuable à Atos, dirigée alors par Elie Girard, le contexte des discussions engagées avec le groupe américain mériterait des éclairages. Quelle partie à pris l’initiative, d’où est venue cette idée étonnante, le board a-t-il été influencé dans son choix ? Ces questions restent sans réponses à ce jour.
-Les conseils d’analystes et de banques sur les valorisations estimées de titres sont souvent l’objet de critiques. Dans ce cadre, nombre de cabinets américains publient des conseils négatifs appuyés sur la valeur Atos. Le dernier conseil marquant est celui de Goldman Sachs, le 8 septembre 2022, qui passe à un conseil de vente étonnant, avec un objectif extrêmement faible de 8 euros, (contre 23, puis 12 auparavant) malgré une baisse de 70% de l’action depuis le début de l’année, en plus de la baisse de l’année précédente. La banque justifie pourtant sa nouvelle position en utilisant des arguments déjà connus de tous et datés, comme le changement de directoire intervenu au printemps précédent, ou le coût du plan de redressement, de 1.6 milliard d’euros, également déjà connu depuis près de 3 mois. Ces nouvelles avaient déjà occasionné une chute de 24% du cours à l’époque. Cet avis de Goldman, qui n’apporte pas de nouvel élément tangible, entraine pourtant une chute supplémentaire de plus de 17% en séance.* (36)
-A l’heure des réseaux sociaux, les fausses rumeurs ou mises en doutes sur une société peuvent être relayées sur différents canaux informels. En 2022, le forum des actionnaires d’Atos du site Boursorama est le plus actif de la plateforme. Sur ce forum, des échanges d’actionnaires qui dénoncent diverses pressions artificielles, partagent des convictions positives, ou tentent de se fédérer, sont massivement supprimés. La censure deviendra périodiquement très active, à tel point que des actionnaires se retrouvent sur un blog indépendant, créé par l’un d’eux, pour permettre des échanges sécurisés. Les auteurs des actions de censure sur le forum de Boursorama ne peuvent être identifiés et aucune source ne peut être avancée. Mais ils participent à une tentative d’influence des actionnaires qui peut être signalée dans un souci d’exhaustivité.
Au-delà des difficultés internes à Atos qui apparaîtront par la suite, ces évènements ont participé à fragiliser le titre sur le marché. La baisse du cours, qui plonge de 40% en quelques mois, est amplifiée par une exposition grandissante de positions de ventes à découvert évoquées précédemment.
En plus de ces manœuvres de déstabilisation informationnelle présumées, une pression supplémentaire annexe peut être signalée : l’arme judiciaire américaine. Atos est également concernée par cet aspect.
-Partie 2-
4/ LES SANCTIONS JUDICIAIRES
Outre l’arme de l’extraterritorialité que nous aborderons ultérieurement, on observe une autre tendance troublante en matière judiciaire : les cas récurrents d’entreprises américaines cédées opportunément à un concurrent étranger peu avant de faire l’objet de poursuites ou de lourdes sanctions judiciaires. Il peut aussi s’agir de voir une procédure anodine prendre des proportions inattendues, immédiatement après le rachat de la société poursuivie.
Précédents connus :
Le cas le plus emblématique est celui de l’entreprise allemande Bayer, qui rachète le mastodonte américain Monsanto en 2018, quelques mois avant que n’intervienne l’ouverture de poursuites judiciaires historiques.
Alors que Monsanto peut être considérée comme stratégique (partenaire de l’armée américaine pour des produits chimiques militaires, multiples enjeux agricoles souverains…), les autorités américaines, d’habitude si prompts à empêcher un acteur étranger d’acquérir ses fleurons, (elles ont même un service dédié à cela à la NSA), s’empressent de donner leur feu vert à l’acquisition proposée par Bayer.
Le rachat à peine bouclé, la justice prend une décision inattendue dans le cadre du procès intenté par une victime du désherbant Round up. En plus de la condamnation à verser 290 millions de dollars au plaignant, elle autorise le principe de plaintes collectives contre Bayer.* (19) A partir de là, on va compter en milliards. Bayer, qui avait parfaitement connaissance de la procédure en cours, n’avait pas estimé cette hypothèse possible. Saisie, la cour suprême a refusé de revoir le procès, et refuse également de justifier sa décision. La machine judiciaire laisse place à un ras de marée de 11 200 plaintes liées au glyphosate déposées en quelques mois. En 2022, on atteint 31 000 plaintes !* (20) Et les dépôts se poursuivent.
Un an après le rachat, le groupe pharmaceutique allemand vaut, en 2019, 52 milliards d’euros. C’est la moitié de ce qu’elle représentait avant la fusion avec le semencier américain et c’est moins que la somme dépensé, 56 milliards d’euros, pour s’offrir l’inventeur du Roundup. Si Monsanto n’avait pas été rachetée juste avant cette condamnation, elle aurait donc fait faillite.
En 2020, Bayer signe un accord à 10 milliards de dollars. Mais ce dernier n’incluait pas les procédures de futures victimes. L’entreprise allemande a déjà mis de côté 6,5 milliards de dollars pour faire face aux nouvelles procédures à venir, ce qui sera, selon ses propres prévisions, encore insuffisant.
Dans le cas d’Atos :
L’ampleur des enjeux judiciaires qui concernent Atos dans le cas que nous allons évoquer n’est bien sûr pas comparable au cas historique Bayer. Mais outre des similitudes (acquisition, procédure simple, rebondissement après l’acquisition…), nous allons explorer les interventions potentielles de services américains en appui d’entreprises nationales visées par des acquisitions.
En juillet 2018, Atos signe le rachat de l’américain Syntel pour 3,4 milliards de dollars. Elle sait que la société fait l’objet d’une procédure en cours, notamment pour vol de propriété intellectuelle, de données du logiciel “Facet” dont est accusée l’une de ses filiales, TriZetto. Atos, qui semble se fonder sur les estimations des avocats de Syntel, et probablement sur ses cabinets de conseils américains, considère que le montant des dommages et intérêts devraient être au maximum de : 8.5 millions de dollars.
En première instance, la condamnation les fixe à : 855 millions de dollars ! 100 fois plus que prévu.
Suite à un recours, Atos parvient à réduire ce montant ‘disproportionné’ à 570 millions de dollars (C’est encore tout de même le prix du développement du logiciel “Facet” tout entier!). Et il faudra y ajouter 285 millions de dommages pour détournement de secrets commerciaux, ainsi que nombre d’autres dommages, amendes, frais et règlements annexes. * (21)
En conclusion, pour une société payée plus de 3.4 milliards de dollars, Atos devra rajouter près d’un milliard supplémentaire, pour une affaire qu’elle considérait, à tort ou à raison, ne pas excéder quelques millions d’euros.
Les procédures sont toujours en cours à l’occasion de multiples recours, mais les probabilités d’un changement total de point de vue du jury semblent peu probables.
Les torts de Syntel seront à déterminer par le tribunal, mais on notera qu’Atos estime que “le verdict du jury n’est étayé ni par les preuves présentées lors du procès ni par la loi applicable”. Pour elle, le montant des dommages et intérêts est “hors de proportion par rapport aux actes en question”.
Il ne s’agit pas ici d’accuser le système judiciaire américain de compromissions avec les pouvoirs politiques et économiques locaux. La justice américaine est pleinement soucieuse de son indépendance. Mais elle est aussi ancrée dans une culture patriotique propre aux Etats-Unis. En matière de poursuites commerciales, il n’est pas tout à fait exclu que les magistrats soient couramment plus intransigeants lorsqu’une entreprise étrangère est poursuivie sur leur sol.
Par ailleurs, les interrogations les plus pressantes portent davantage sur les corrélations entre agenda judiciaire et économique. Il n’est pas exclut que les services de renseignements signalent des risques de sanctions judiciaires à leurs entreprises nationales, ainsi incitées à ralentir une procédure ou accélérer une transaction pour que la sanction soit in fine assumée par une société étrangère.
En effet, les documents révélés par Edward Snowden à partir de 2013 ont démontrés que des services de renseignements américains sont dédiés à la transmission d’informations confidentielles à leurs entreprises à l’intérieur du pays comme à l’extérieur* (23). Une structure a par exemple été spécialement créée pour épauler les entreprises américaines dans la conquête des principaux contrats internationaux : l’Advocacy Centre. Ce service est chargé de faire le lien entre le secteur privé et les services de l’Etat. Il renseigne les entreprises nationales et les prévient lorsqu’un contrat important peut-être négocié, les renseigne sur l’état de négociations adverses, ou encore sur les attentes de la cible.
Il est enfin important de mesurer que toutes les informations qui circulent aux Etats-Unis, y compris judiciaires, sont systématiquement interceptées par la NSA, qui relaie ensuite ses informations aux agences concernées. Suite à des révélations de Wikileaks en partenariat avec Libération et Mediapart en 2015,* (22) les journalistes de Libération expliquent que la NSA est particulièrement vigilante sur les technologies de l’information, de télécommunications, d’énergies (…) et précisent : “toutes les informations recueillies sont ensuite partagées avec les principales administrations américaines : département de la Sécurité intérieure, département du Commerce, département de l’Energie, agence de renseignement de la Défense, Réserve fédérale, Trésor.. ”
Quelles informations sont transmises en matière de risques judiciaires ? Les entreprises nationales faisant l’objet d’offres ne sont-elles pas informées de leur capacité de négociation et de leurs intérêts lorsqu’une offre se présente ? Ainsi, Atos, dont l’achat de Syntel à plus de 3 milliards de dollars s’est révélé très largement survalorisé, a-t-elle négocié dans un rapport de force équitable ?
Pour conclure ce chapitre, il ne s’agit en aucun cas ici d’absoudre Atos de ses propres responsabilités dans cette acquisition. Elle est bien la première responsable d’une évaluation apparemment trop légère du litige. Mais de nombreuses interrogations sont légitimes. Une dernière, pour finir : la question de la transparence de ses conseils américains. En l’occurrence, Atos a attaqué le principal ex-actionnaire de Syntel, Mr Bharat Desai, pour “avoir minimisé les risques” qu’impliquait le procès contre Syntel, vis à au moment de l’OPA amicale. Preuve qu’Atos considère bien, au moins sur cet aspect, avoir été trompée.
En l’état des informations connues, ce n’est pas tant l’intégrité judiciaire que le problème de l’information équitable entre société nationales et étrangères qui peut être interrogé. Mais plus largement, l’arsenal législatif et les capacités du renseignement américain sont particulièrement utilisés dans le cadre de la guerre économique, et sur ce sujet également, Atos est concernée.
5/ EXTRATERRITORIALITÉ, SURVEILLANCE ET INTRUSIONS
L’extraterritorialité de la justice américaine est devenue un sujet de préoccupation publique connu et documenté. Mais ses contours, en lien avec d’autres lois américaines, restent encore sous-évalués. Si jusqu’ici Atos n’a pas fait l’objet de poursuites judiciaires dans ce cadre, elle est la cible de dispositifs qui y sont liés.
Précédents connus :
BNP, Crédit Agricole, Société Générale, Total, Airbus, Areva, Alcatel, Lafarge, Airbus, Technip.. Ces dernières années, des amendes record et contestables pleuvent sur les fleurons français. Mais c’est l’affaire Alstom qui s’impose comme la plus remarquable. Une vraie saga en 4 actes :
ACTE 1
Début 2013 : Alstom fait l’objet d’une enquête du Department of Justice (DOJ) dans le cadre du FCPA, (Foreign Corrup Practices Act), pour des versements de pots-de vin dans le cadre d’un contrat mineur (118 millions de dollars) en Indonésie.
La même année, F. Pierucci, haut cadre d’Alstom Power, est interpellé à l’aéroport de New York par les services secrets américains, qui lui demandent de collaborer à l’espionnage et la déstabilisation d’Alstom. Il refuse. Un juge fédéral décide de l’emprisonner le soir même dans un centre de haute sécurité (Niveau 4) réservé aux lourdes peines. Il y passera 14 mois* (25).
ACTE 2
Mi-2013 : quelques semaines après son incarcération, General Electric entre en négociations exclusives avec Alstom pour acquérir Alstom Power. Alstom Power renferme des actifs stratégiques comme les turbines Arabelles, indispensables aux centrales ou au porte-avion nucléaires français. Mais GE a des arguments séduisants : des garanties sur l’emploi, ou encore l’engagement de régler l’amende de la condamnation à venir.
ACTE 3
Juin 2014 : l’état français, mis au pied du mur par un directeur d’Alstom, P. Kron, lui-même objet de diverses pressions, donne à contrecœur son accord pour l’acquisition. F. Pierucci est libéré sous caution 2 jours après l’annonce. Mais il reste des étapes inattendues à franchir pour finaliser la prise de contrôle, qui s’étaleront sur un an de plus. F. Pierruci, qualifié d’ “otage économique” par Bercy*, est condamné à une peine de 25 mois, et sera libéré après la finalisation de l’acquisition* (25).
ACTE 4
Le tribunal condamne Alstom à 772 millions de dollars d’amende (pour un contrat litigieux de 118 millions !). Par ailleurs, les juges indiquent que ce montant doit être payé par le fautif, et non par l’acquéreur ! (Notons que dans le cas de Syntel racheté par Atos, cette demande n’a pas été formulée !). L’acquisition se fait au rabais, et les engagements de GE sur le règlement de l’amende -comme sur l’emploi- ne seront pas tenus.
EPILOGUE
A la suite de cette affaire, on découvre qu’Alstom Power est le cinquième cas de rachat par GE d’une entreprise poursuivie via le FCPA. (A noter que la banque Goldman Sachs est toujours omniprésente : en France, elle opère le rachat de Technip (poursuivie via le FCPA), tout comme celui d’Alstom Power.)
Mais la question qui retient notre attention ici est la source de l’affaire : les pièces extrêmement détaillées de l’accusation. Les enquêtes du DOJ se basent sur diverses sources, y compris d’agences de renseignements. Dans le cas d’Alstom, le juge présente notamment comme preuves, lors du procès, des échanges de mails internes.* (27) Les yeux se tournent alors vers la NSA.
Les agences peuvent en effet accéder à la quasi-totalité des données des sociétés françaises. C’est à ce titre que l’extraterritorialité concerne pleinement Atos, comme cible privilégiée, et comme vecteur (involontaire).
Dans le cas d’Atos :
Atos n’a pas -jusqu’ici- fait l’objet de poursuites dans le cadre du FPCA, mais l’extraterritorialité concerne aussi le champ du renseignement. L’ancien député LR Pierre Lellouche, qui a présidé une mission d’information parlementaire sur le sujet, qualifie l’extraterritorialité de « stratégie délibérée qui consiste à mettre en réseau les agences de renseignements et la justice américaine afin de mener une véritable guerre économique ».* (28)
Atos et le FCPA
Les procureurs du DOJ -sous l’autorité du gouvernement américain- peuvent diligenter des enquêtes en utilisant les données de toute entreprise sous leur juridiction. Tout lien indirect avec les USA place n’importe quelle entreprise sous cette juridiction (un simple boulon américain dans une machine, l’envoi d’un mail via un opérateur américain, un achat en dollars…)* (30).
Atos détient des filiales américaines, réalise des transactions internationales, est équipée de divers matériels américains (puces électroniques, serveurs, logiciels)… Elle est donc placée d’office sous cette juridiction. Les services peuvent dès lors collecter librement ses données pour une utilisation ultérieure légale. Selon la nouvelle loi FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act), ils peuvent en effet intercepter légalement toute communication numérique sans autorisation préalable d’un juge.* (23)
Atos, cible privilégiée
La collecte est permise par le Patriot Act (2001), qui autorise les agences américaines à espionner toutes les sociétés extraterritoriales. Elles s’appuient, entre autre, sur le dispositif PRISM (NSA), dévoilé par Edward Snowden en 2013. Leurs capacités d’interceptions dépassent l’imagination. Elles visent -sans surprises- en priorité les entreprises stratégiques, et plus particulièrement celles en liens avec la Défense, les télécommunications ou la cyber-sécurité. Ajoutons qu’en 2013, toute entreprise qui négocie un contrat de plus de 200 millions de dollars est d’office placée sous surveillance automatique de la NSA* (23). Atos coche toutes ces cases. De plus, ses liens avec les GAFAM multiplient les portes d’entrées.
– Tous les services, informations, métadonnées d’identification ou de géolocalisations, logiciels, échanges, qui transitent par les GAFAM sont accessibles à la NSA. En effet en septembre 2013, le Guardian, le NY Times et Pro Publica révèlent que ces derniers donnent un accès constant à PRISM.
Dans le cas d’Atos, notons que la sécurité de son réseau interne et de son cloud d’entreprise sont assurées par Microsoft Security* (35), la sécurité de ses infrastructures mobiles (notamment pour le télétravail) par Microsoft Intune, et celle de ses approvisionnements par Microsoft Sentinel.
– Par le biais d’autres méthodes intrusives développées par la NSA, les données hébergées sur des ordinateurs non connectés à internet sont également accessibles* (23).
Dans le cas d’Atos, les secteurs de recherches stratégiques, comme la cryptologie quantique, qui peuvent être effectuées sur des équipements isolés des réseaux, ne sont pas forcément immunisés contre les intrusions.
-La NSA (et le GCHQ anglais) est capable de décoder l’essentiel des systèmes de chiffrement des communications sur internet, utilisés (…) par les entreprises pour sécuriser leurs échanges électroniques. (Programme « Bullrun »).
Dans le cas d’Atos, qui fournit des solutions de cryptologie à Google cloud et à Microsoft, ces interactions constituent un intérêt évident, et offrent pour la NSA des possibilités de maîtrise et de suivi de ses solutions.
Atos, vecteur involontaire ?
Adopté en 2018, le ‘Cloud Act’ permet à l’administration des Etats-Unis de saisir de façon confidentielle TOUTES les données numériques stockées sur des serveurs américains à l’étranger.* (31) L’espionnage économique est ainsi ouvertement légalisé.
En novembre 2022, Atos et AWS (Amazon Web Services) annoncent la signature d’un contrat cadre pluriannuel* (32) :
-Pour Atos, cette collaboration permet de proposer, d’assurer et d’interfacer une migration de ses clients vers des solutions cloud hébergées par AWS.
-Pour AWS, elle permet de nouveaux développements commerciaux et l’accès à une nouvelle clientèle apportée par Atos (800 entreprises démarchées dans un premier temps).
-Pour les services américains, favorisés par le Cloud Act, les projets français de création d’un cloud souverain constituaient une potentielle menace sur leurs capacités de surveillance et d’intrusion. En optant pour le Cloud d’AWS, Atos est le dernier grand opérateur numérique français à renoncer à la création d’un cloud indépendant. Avant elle, Orange et Cap Gemini ont développé l’offre « Bleu » avec Microsoft, et Thales l’offre « S3ns » avec Google.
Le cloud de confiance proposé par Atos et AWS ne dispose en effet pas d’exemption de la notion d’extraterritorialité* (33).
Pour les services américains, ce partenariat donne donc accès toutes les données hébergées, favorise la connaissance des clés de chiffrement et de cryptage d’Atos par un programme « Bullrun » actualisé, et assure, par conséquent, un accès aux données cryptées par Atos dans le -mal-nommé- « Cloud de confiance ».
A noter que ce partenariat ouvre également une nouvelle porte d’entrée indirecte pour approcher les secrets les mieux gardés d’Atos. En effet, les échanges de salariés, de compétences et de technologies entre AWS et Atos sont autant d’opportunités potentielles pour le renseignement.
A ce titre par exemple, le partenariat prévoit des collaborations permanentes des salariés d’AWS avec ceux d’Atos, et la formation de 2 000 salariés d’Atos par AWS à ses outils. AWS a d’ailleurs proposé de financer l’intégralité des frais de formation des personnels.* (34)
La législation américaine autorise donc l’intrusion, l’interception, la collecte et l’utilisation des données de toutes les entreprises françaises. Ses agences surveillent particulièrement Atos. De plus, pour elles, Atos est un possible vecteur pour offrir malgré elle un accès libre, pour le renseignement américain, aux données de nombreuses entreprises et institutions internationales qu’elle hébergera sur le cloud de son partenaire AWS.
Atos se trouve donc en première ligne des entreprises les plus exposées au monde dans le domaine du renseignement américain, et s’inscrit, à ce titre aussi, au cœur des enjeux de guerre économique.
6/ PROSPECTIVES
Gemplus, Alcatel, Bayer, Alstom… Ces précédents évoqués ont mis en lumière diverses manœuvres américaines agressives pour prendre le contrôle, affaiblir, ou bénéficier des ressources d’une cible stratégique.
Atos, une cible stratégique
Des documents publiés par Wikileaks ont démontré que la NSA avait écouté la quasi-totalité des entreprises cotées au Cac 40, entre autre écoutes, dont les plus emblématiques furent celles de plus de 35 présidents de pays étrangers (avant 2013), comme les présidents français Chirac, Sarkozy et Hollande… Elle distribue ensuite ses collectes à des services dédiés, selon l’exploitation stratégique, politique, militaire, juridique, sociale ou économique qui peut en découler.
Outre la NSA, le dispositif américain regroupe au moins 23 agences de renseignements connues, soit environ 120 000 personnes. Ces données irriguent ensuite tous les services de l’état et informent notamment les acteurs privés américains, pour remporter les guerres économiques. Ces agences peuvent également être utilisées pour fragiliser, déstabiliser, et même inciter à la faute des directoires de sociétés ciblées* (38).
Atos est un leader mondial de la cyber-sécurité, du chiffrement, des solutions cloud, un gestionnaire de réseau de milliers d’entreprises. Elle travaille pour des clients eux-mêmes sensibles, comme des institutions mondiales, mais aussi la DGA, la DGSE, les équipements des armées, ou encore les services des ministères français. Enfin, elle se positionne en pointe dans des secteurs de recherche stratégique comme la cryptologie quantique. Dans ce domaine elle est notamment leader mondial dans l’hybridation quantique.
Sur ce seul dernier point, la cryptologie quantique, notons que la NSA est, en plus de ses missions de renseignement pour des intérêts divers, elle-même intéressée en tant que concurrente directe d’Atos. En effet, l’agence cherche à construire un calculateur quantique visant à craquer tout chiffrement protégeant le secret bancaire, médical, industriel ou gouvernemental à travers le monde. Selon le Washington Post, qui révèle cette information des fuites Snowden en 2014, la NSA se considère « au coude à coude avec les laboratoires d’informatique quantique internationaux ».* (23)
Atos n’est donc pas seulement une cible de premier plan dans le cadre de la compétition économique, elle est aussi un vecteur électronique privilégié pour approcher d’autres cibles potentielles (cf Chapitre 5), et un concurrent direct dans ses domaines d’activités et de recherche.
Participation à l’affaiblissement
Les motifs visant à affaiblir ou à déstabiliser Atos, temporairement ou durablement, par divers moyens, sont donc nombreux et divers. Les moyens d’y parvenir, au regard des précédents évoqués, le sont également. Les précédentes attaques stratégiques que nous avons abordées montrent 3 types principaux d’interventions des agences américaines face à des entreprises stratégiques :
1/ Organiser l’affaiblissement d’une société saine (Gemplus…)
2/ Amplifier l’affaiblissement d’une société traversant des difficultés ponctuelles (Alstom…)
3/ Sans être à l’origine de son affaiblissement, s’assurer de saisir les opportunités offertes par une société traversant des difficultés (Latecoère…)
Dans le cas d’Atos, si des pressions sont avérées, le cas n°2, d’une amplification de son affaiblissement paraît crédible. A l’occasion de difficultés économiques ponctuelles, des acteurs auraient pu être mandatés ou incités à agir pour accentuer ses difficultés, et d’autres pour en tirer parti.
Les pressions potentielles détectées sur Atos (Résumé)
Dans le cas d’Atos, au cours de cette analyse, nous avons pu constater que :
– Atos a pu être la cible de déstabilisation financière
Avant et malgré des offres d’acquisitions, le titre Atos a été l’un des plus exposés à la vente à découvert de Hedges Funds, qui ont aboutis à une valorisation de 15 à 25% seulement du prix proposée par des candidats à son rachat. Alors qu’il est démontré que des Hedges Funds sont parfois utilisés comme « arme de guerre économique », le comportement, la présence et la durée d’exposition de certains fonds en action sur Atos sont remarquables.
(Chapitre 2)
– Atos a pu être la cible de déstabilisation informationnelle
Fausse information sur les marchés, alerte comptable infondée émise par des filiales américaines, approche incohérente et inexpliquée de l’américain DXC, avis de brokers suspects… Des évènements négatifs ponctuels ont alimenté la chute du titre en bourse. Ce dernier ne s’est pas redressé lorsque les doutes ont été levés.
(Chapitre 3)
– Atos a pu être la cible de tentative d’acquisition stratégique
Un consortium de fonds américains aux liens démontrés avec la CIA a approché Atos en pleine tempête boursière, en août 2021. Divers autres acteurs américains ont été remarqués à divers niveaux de l’environnement d’Atos, qu’il s’agisse d’activité de conseil, d’investissement financier, ou de partenaires d’offres ultérieures.
(Chapitre 1)
– Atos a pu être l’objet de négociations inéquitables
Des documents démontrent que les services américains informent leurs entreprises impliquées dans des phases de négociations. L’acquisition de la société Syntel aux Etats Unis, réalisée à un prix surévalué, a été suivie d’une condamnation judiciaire 100 fois supérieure au montant estimé par Atos lors de l’acquisition. Celle-ci estime avoir été trompée lors de son acquisition.
(Chapitre 4)
-Atos peut être l’objet d’intrusions électroniques
Des fuites de la NSA démontrent qu’Atos fait partie de ses cibles économiques et stratégiques prioritaires. Ses partenariats avec les GAFAM l’exposent d’autant plus, comme le récent contrat avec A.W.S., qui assure à la NSA un accès (Cloud act) légal à toutes les données hébergées en France, y compris au sein du « cloud de confiance. »
(Chapitre 5)
Chacun de ces constats peut être considéré comme indépendant des autres, ou au contraire comme étant lié aux autres. Les services de renseignements, dont le métier est basé sur une forme de paranoïa, considèrent qu’ « il n’y a pas de coïncidences ». Dans le cas d’Atos, si certains des faits relevés ci-dessus pourraient relever de malheureuses coïncidences, leur accumulation ne peut qu’augmenter la probabilité de manœuvres potentielles. Surtout au regard des précédents connus, des révélations de diverses sources, et de la sensibilité des domaines d’activités d’Atos.
Quelles conséquences ?
En considérant que ces pressions sont avérées, contrairement aux précédents évoqués, elles ne se traduisent pas, à ce stade, par la réalisation d’un but visible (comme une acquisition). Mais les objectifs éventuellement poursuivis ne sont pas forcément visibles. Les cas d’écoles cités sont connus justement parce que les manœuvres se sont traduites par un but atteint particulièrement visible, mais de nombreux cas existent de pressions potentielles aux buts non visibles.
Concrètement dans le cas d’Atos, ces fragilisations pouvaient permettre, par exemple, d’inciter l’entreprise à des cessions d’activités, de ralentir certains de ses développements en cours, d’accélérer ou de négocier en position de force des coopérations avec des collaborateurs américains… Les raisons d’amplifier les difficultés d’Atos peuvent être diverses.
En l’état actuel, on peut seulement constater les impacts engendrés par la fragilisation d’Atos ces deux dernières années : une tempête boursière historique, pendant laquelle le groupe a dû se concentrer sur sa propre survie au détriment de certaines activités de développements internes et futurs. Par ailleurs, Atos a frôlé le rachat à plusieurs reprises, et un démantèlement a été évoqué plusieurs fois. Elle a également subit le risque de dépassement de ses ratios d’endettement maximums auprès de ses créanciers, ce qui l’aurait contrainte à certaines cessions non souhaitées librement notamment. Elle a vu son directoire déstabilisé et renouvelé plusieurs fois, et a pu être en position de faiblesse pour l’obtention de certains contrats. Enfin elle a entièrement stoppé sa stratégie d’acquisitions externes, pour au contraire s’engager dans une logique de cessions.
Atos est-elle sortie d’affaire ?
Mais il faut noter que, malgré les apparences, la France n’est pas tout à fait inactive face aux attaques étrangères, et soutien plus ou moins officiellement ses fleurons lorsqu’ils sont suspects d’attaques externes. Et surtout, même sous une pression organisée, les entreprises visées conservent généralement la possibilité d’agir pour éviter les conséquences stratégiques les plus graves. Elles peuvent même parvenir à surmonter certaines attaques, voire empêcher la réalisation de certains objectifs adverses, aidées ou non par les autorités de leur pays.
Dans le cas récent d’Airbus par exemple, visée par une enquête extraterritoriale des Etats-Unis, qui induisait des conséquences potentiellement dévastatrices (notamment l’interdiction d’accès aux marchés publics mondiaux !), l’Europe a ainsi globalement réussi à éviter le pire en forçant les autorités américaines à s’associer aux françaises et anglaises, grâce à de nouvelles dispositions de ces deux pays (précurseurs en Europe), permettant d’éviter une procédure pénale américaine. * (37)
Dans le cas d’Atos, si le directoire, présidé par Bertrand Meunier, est en partie responsable des difficultés initiales du groupe, il semble être parvenu à éviter la perte de souveraineté qui pouvait menacer certaines activités du groupe. Il a résisté aux approches diverses d’acquisitions et a conduit une stratégie de scission des activités, qui, bien que décriée, semble pouvoir assurer une protection de ses activités stratégiques face aux prédateurs potentiels.
Et enfin, début 2023, la situation semble s’améliorer. Atos parvient à diminuer les risques externes en réduisant ses fragilités internes, elle réalise plusieurs cessions non stratégiques, restructure ses activités en déclin, rassure sur ses activités en croissance, passe le cap de la fin d’année concernant ces engagements d’endettement, met en place son projet de scission, et négocie l’entrée d’un actionnaire minoritaire de long terme, afin d’empêcher des participations étrangères hostiles et de réduire le flottant de son cours de bourse. Atos est-elle tirée d’affaire ? A-t-elle déjoué d’éventuels objectifs adverses ? L’histoire le dira.
Par ailleurs, du point de vue des chapitres abordés dans cette analyse, certaines pressions semblent enfin s’alléger : le climat informationnel est désormais plus apaisé, les fonds spéculatifs réduisent leur exposition, les approches de fonds américains semblent être éloignées… Un espoir, qui engendre d’autres questions : Atos a-t-elle été un temps ciblée par des pressions à visées stratégiques ? Dans ce cas, dans quels buts, et ceux-ci ont-ils été atteints ? Et si des pressions ont eu lieu, sont-elles désormais levées ? Il est impossible d’y répondre à ce stade.
Épilogue
Quoiqu’il en soit, si les soupçons évoqués ne suffisent pas, à ce stade, à joindre le cas Atos à la cohorte des précédents cas avérés d’attaques américaines, ils doivent néanmoins amener les responsables économiques à organiser des capacités de répliques et de protections adéquates pour limiter les fragilités identifiées et susceptibles d’être exploitées dans son cas comme dans d’autres. Les milieux économiques, financiers et politiques doivent adapter leurs comportements, leurs arsenaux défensifs et leurs stratégies pour être armés face à ces enjeux cruciaux.
De par le monde, de plus en plus de pays adaptent leurs arsenaux législatifs, financiers et stratégiques, pour répondre aux attaques économiques déloyales et stratégiques. Considérées comme des adversaires géopolitiques autant qu’économiques, la Russie, de façon radicale, et la Chine, de façon plus subtile, sont en première ligne avec la mise en place des dispositifs les plus aboutis au monde pour contrer les attaques américaines.
Ainsi, après l’affaire Huawei notamment, la Chine a enrichi son bouclier juridique, qui gagne en puissance et en efficacité. Elle impose par exemple à ses entreprises de se signaler systématiquement aux autorités chinoises lorsqu’elles sont visées par une enquête extraterritoriale, une prise de participation étrangère ou toute autre manœuvre suspecte étrangère. La Chine prévoit ensuite un arsenal de contre-mesures dissuasives pour retourner les sanctions contre les services ou entreprises américaines impliqués.* (30) Mais la Chine met également en place son propre système extraterritorial, devenant à son tour une menace directe pour les entreprises françaises.
La France, (et plus lentement l’Europe), commence, depuis les lois sapin 2, à se doter de premiers outils de riposte, comme la mise en place de capacités de blocage des acquisitions étrangères stratégiques, ou encore, récemment, la possibilité de déclencher des poursuites françaises sur des entreprises étrangères par exemple.
Mais face à l’intensité et à la diversité des attaques connues, elle est encore extrêmement peu active et dépassée. Dans son approche américaine, la France (et encore plus l’Europe), confond encore, dans ses rapports avec les USA, sa proximité géopolitique et culturelle avec une supposée bienveillance économique totalement fantasmée. Les décisionnaires français ne semblent pas mesurer, en tout cas dans les actes, que les États-Unis agissent, en matière économique, non seulement comme des adversaires à part entière, mais comme nos adversaires les plus agressifs au monde.
La capacité française à se doter d’un arsenal tout aussi agressif et interventionniste que celui des États-Unis en matière économiques et stratégiques suppose de sortir de toute urgence de l’angélisme et de l’ignorance sur ces sujets. Dans ce contexte, dans le cas d’Atos comme dans l’approche générale, il s’agit de considérer toute suspicion comme une attaque potentielle, pour y apporter une réponse lucide, adaptée et réactive.
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REFERENCES
(00) https://www.ege.fr/sites/ege.fr/files/media_files/rapport_alerte_usa_2021.pdf”files/media_files/rapport_alerte_usa_2021.pdf
(Point 5.2.1)
(03) https://www.ege.fr/sites/ege.fr/files/media_files/rapport_alerte_usa_2021.pdf
(Point 5.2.1)
(06) https://www.ege.fr/sites/ege.fr/files/fichiers/carlyle_group.pdf
(11) https://fr.wikipedia.org/wiki/Gemplus
(12) https://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_de_la_livre_sterling_de_1992″
(13) https://www.ege.fr/sites/ege.fr/files/fichiers/infolabo_hedge_funds.pdf
(14) https://www.reuters.com/article/ofrbs-union-hedge-funds-jouyet-20100709-idFRPAE6680X120100709
(16) https://www.epge.fr/la-main-invisible-de-loncle-sam/”
(22) https://www.liberation.fr/planete/2015/06/29/espionnage-economique-le-sale-jeu-americain_1339635/
(23) https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9v%C3%A9lations_d%27Edward_Snowden
(25) Le piège américain, Frédéric Pierucci
(26) https://www.youtube.com/watch?v=dejeVuL9-7c
(27) https://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A9d%C3%A9ric_Pierucci
(28) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/secrets-d-info/guerre-economique-comment-les-etats-unis-font-la-loi-4127787
(31) https://information.tv5monde.com/info/surveillance-numerique-le-cloud-act-americain-rend-legale-la-saisie-administrative-des-donnees
(32) https://www.latribune.fr/economie/international/les-sept-armes-imparables-qui-permettent-aux-etats-unis-de-dominer-le-monde-789141.html (Fin de page)
(33) https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/atos-sallie-au-cloud-d-amazon-pour-dessiner-un-avenir-a-son-infogerance-1884497
(34) https://www.cgtatos.org/egypte-aws-atos-en-pleine-autofiction/
(35) https://customers.microsoft.com/fr-fr/story/1505089974580265485-atos-professional-services-microsoft-security-french
(37) https://www.ege.fr/infoguerre/2020/04/laffaire-airbus-reponses-europeennes-a-lextraterritorialite-droit-americain
Matabeta
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