Par Emeric Lepoutre (Conseil en Gouvernance et en recherche de dirigeants). Publié le 12 sept. 2022 à 11:48
Chacun avec des contextes différents, les conseils d’administration d’Orpea et Atos ont failli à leur mission de bonne gouvernance. Par manque de courage et de bon sens, explique Emeric Lepoutre.
Nous avions cru voir le pire en matière de gouvernance dans les « affaires Renault ». Nous découvrons pire encore, avec Orpea sous l’ère d’un exécutif sans contrôle pendant plus de 100 mois, et Atos sous l’ère d’une gouvernance défaillante en moins de 100 jours.
Dans les deux cas, les conseils d’administration comptaient des administrateurs de longue date, manquant apparemment à leur devoir de vigilance et de contrôle.
Une direction générale fautive
Les actionnaires de référence d’Orpea sont présents au capital et au conseil d’administration depuis respectivement 8 et 16 ans. Soit ils savaient (notre bienveillance nous conduit à exclure cette hypothèse). Soit ils ne savaient pas. Mais ils ont alors à tout le moins été défaillants à l’égard du devoir de vigilance qui leur incombe face à une direction générale fautive depuis 15 ans.
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Le changement de gouvernance du 1er juillet était un début de solution. Que le PDG devienne Président non exécutif et s’adjoigne un nouveau Directeur Général est assez classique : Saint-Gobain et Veolia l’ont fait récemment. Mais il s’agissait là de plans de successions internes, identifiés très en amont, puis mis en place professionnellement, avec une complémentarité évidente et une coopération constructive des binômes.
Rien vu, rien entendu
Chez Orpea, la cohabitation improbable entre un Président « qui n’a rien vu ni entendu » pendant six ans et un directeur général externe, brillant et déterminé, mais pas au fait des maux du passé, a tourné court en moins d’un mois. D’où un second changement de Président à l’AG du 28 juillet.
Sauf que Guillaume Pépy était le conseil de l’actionnaire canadien depuis deux ans en France , et qu’il a malgré tout été qualifié d’indépendant. Cas inique mais pas unique (cf. Legrand en 2012). Mais passons. L’homme est digne. Et évoluer d’une gouvernance défaillante à une gouvernance perfectible est déjà un progrès.
Mais que dire des actionnaires et du Conseil d’administration qui attendent juillet 2022 pour annuler certaines rémunérations variables 2021 soudainement jugées « excessives » alors qu’ils les ont versées aux ex-dirigeants pendant 15 ans ? Qui attribuent un bonus exceptionnel de 100.000 euros à l’ex Président qui « n’a rien vu ni su » ? Qui gardent des N-1 chargé du juridique, de la gouvernance, de la conformité, des risques, qui n’auraient rien vu non plus ?
Trois directeurs généraux en 9 mois
Le dossier Atos est différent car moins grave sur le plan de la santé publique, mais comparable dans la défaillance de la gouvernance . Un conseil d’administration et un CNG « orientés » par un Président non exécutif et non indépendant (15 ans de présence). Lequel cherche un DG « talentueux mais pas trop » et de nouveaux administrateurs « compatibles ». Quoi de plus pratique en effet que de nommer deux étrangères aux codes du monde des affaires français et un proche à la Présidence du Comité des Comptes ?
Au nouveau DG qu’il croyait à sa main, on fait assumer un plan stratégique auquel il ne croyait pas lui-même, puis on le fait démissionner le lendemain de la présentation dudit plan stratégique. Tout ceci en 100 jours. Pour in fine nommer un cadre qui était dans le groupe depuis 20 ans mais que personne n’avait jusqu’ici estimé légitime. Une gestation difficile avec trois DG en neuf mois.
Autre paradoxe français : l’Etat, qui n’est pourtant actionnaire ni d’Atos ni d’Orpea, va devoir remettre de l’ordre chez Atos via ses bras armés (Thalès, Airbus, Orange) et ramener Orpea vers la vérité, l’éthique, et sa mission de santé publique.
Faire preuve de courage
Dans ce contexte, les deux actions ont dévissé de 75 % en quelques mois. Quand la gouvernance perd le bon sens, l’exécutif perd la confiance, le business model perd en crédibilité, et le marché perd patience.
Il appartient donc aux trois organes de gouvernance de reprendre leur place respective dans le poste de pilotage. Un Directeur Général est responsable de ses actes. Mais un conseil d’administration est tout aussi responsable de son inaction à l’égard d’une Direction Générale ou d’une Présidence défaillante. Et les actionnaires doivent faire preuve de courage au moment de constituer (ou destituer) leur conseil d’administration.
Les deux conseils auraient aussi pu démissionner collégialement. Aux Etats-Unis, cela aurait été acté depuis longtemps. Idem pour certains dirigeants et N-1 qui ont pu être défaillants, même par omission.
Dans de telles situations de crise, la gouvernance et le leadership ordonnent d’analyser les faits sans s’autocensurer, d’identifier les responsabilités sans état d’âme, de trancher avec courage. A fortiori lorsqu’il y a des dizaines de milliers de salariés en jeu – et des centaines de milliers de nos aînés (Orpea) et de nos jeunes (Atos), qui aspirent légitimement à plus de respect et d’espoir.
La bonne gouvernance ce ne sont pas que des règles, des postures et de l’image – c’est aussi de l’humain, du bon sens et du courage.
Emeric Lepoutre, Conseil en gouvernance et en recherches de dirigeants
https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-orpea-atos-des-gouvernances-defaillantes-1787269
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