Atos, de la gloire sous l’ère Thierry Breton à la menace d’un démantèlement (Le Monde)

IT services corporation Atos Chairman and CEO Thierry Breton gestures at the global High Performance Computing (HPC) Test Lab, during the inauguration at the Atos' site, on September 19, 2019 in Angers. (Photo by ERIC PIERMONT / AFP)

Le groupe de services informatiques, qui vient de changer de directeur général, lutte pour conserver son intégrité.

Par  , Publié le 28 février 2022.

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undi 20 mars 2017. Atos vit son jour de gloire. La société de services informatiques accède pour la première fois au CAC 40. Une consécration pour le PDG de l’époque, Thierry Breton. L’ancien ministre de l’économie, arrivé à la tête d’Atos fin 2008, a hissé ce groupe de seconde division dans le top 5 mondial du secteur. Sous sa direction, et à coups d’acquisitions, Atos a triplé de taille.

Cinq ans plus tard, il ne reste plus grand-chose de ces jours heureux. M. Breton est parti à la Commission européenne, fin 2019. Son ancien directeur financier Elie Girard, qu’il avait choisi comme dauphin, a quitté le groupe en octobre 2021, quelques semaines après qu’Atos a été mis à la porte du CAC 40, victime de la chute de ses résultats et du cours en Bourse. Le groupe, qui devait annoncer, lundi 28 février, des pertes pour 2021 en raison de charges et de dépréciations d’actifs exceptionnelles, ne vaut plus que 3,3 milliards d’euros, trois fois moins qu’à la belle époque.

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De quoi alimenter, dans l’esprit de concurrents ou de fonds d’investissement, un scénario de démantèlement, avec, dans le viseur, la division big data et sécurité (BDS). « Il y a des tentations », note un administrateur du groupe, qui, comme beaucoup de protagonistes, préfère rester anonyme. « Il est troublant que Rodolphe Belmer, le nouveau directeur général, revienne à une organisation en trois grandes activités, comme s’il préparait une scission », s’étonne un fin connaisseur d’Atos.

« Le virage vers le cloud a été trop lent »

M. Belmer se défend de telles intentions. L’ancien directeur général d’Eutelsat répète, depuis sa prise de fonctions, début janvier, que « BDS n’est pas à vendre », bien décidé, au contraire, à faire de cette activité le moteur du redressement d’Atos. Dans une vidéo adressée aux 100 000 salariés du groupe début 2022, il affirme épouser la stratégie soutenue par le conseil d’administration. Une façon de faire taire la rumeur de dissensions avec les administrateurs, alors que plusieurs sources ont assuré au Monde que l’ex-dirigeant d’Eutelsat était sur les rangs, fin 2021, pour participer au processus de sélection du directeur général d’Orange, quelques semaines après son engagement chez Atos.

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Autre sujet d’interrogation : M. Belmer a été désigné sans qu’aucune procédure de recrutement, interne et externe, ne soit menée, a appris Le Monde. Des cadres d’Atos avaient pourtant le profil pour ce poste, comme Pierre Barnabé, patron de BDS, annoncé, depuis, chez Soitec, ou Adrian Gregory, qui dirige la filiale Syntel. « La situation exceptionnelle dans laquelle se trouvait le groupe ne permettait pas de lancer un processus de recrutement comme cela se fait en temps normal », nuance un administrateur d’Atos.

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Exceptionnelle, la situation du groupe l’était sans nul doute. Le champion créé par M. Breton s’est révélé n’être qu’un fragile château de cartes. « Le virage vers le cloud [l’informatique dématérialisée] a été trop lent », regrette un cadre. La scission, début 2019, de Worldline, la filiale de paiements, aujourd’hui quatre fois plus grosse en Bourse que son ancienne maison mère, a mis en lumière le déclin des activités historiques d’Atos dans l’infogérance. « Atos paie, après coup, la mauvaise gestion de M. Breton », déclare Alia Iassamen, coordinatrice CFDT du groupe, affirmant tout haut ce que beaucoup de personnes pensent tout bas.

« C’est facile, de critiquer l’héritage »

D’ailleurs, M. Belmer a passé ses premiers jours à dresser l’inventaire de l’héritage laissé par ses prédécesseurs, comme l’illustrent les 1,9 milliard d’euros de dépréciations passés sur les comptes 2021. « Atos a trop longtemps tiré ses résultats au maximum », admet un proche du conseil d’administration. Avec des contrats longs, selon les normes comptables, le chiffre d’affaires et la marge sont reconnus à l’avancement des travaux, ce qui donne une certaine souplesse. Mais cela est à double tranchant, car ce qui est perçu en avance ne peut plus l’être par la suite. D’où le coup de frein subi par Atos depuis 2020 pour remettre les compteurs à zéro.

« Les revenus augmentaient trop vite par rapport à la réalité économique », reconnaît un actionnaire d’Atos. Selon lui, la réserve émise, début 2021, par les commissaires aux comptes Deloitte et Grant Thornton sur les résultats 2020 visait à siffler la fin de cette logique. Il note que, quelques semaines après ce carton jaune comptable, le groupe a revu à la baisse ses prévisions de résultats. Et, mi-2021, après cette révision, les commissaires aux comptes annonceront qu’ils n’ont finalement constaté « aucune anomalie matérielle ».

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Compte tenu de ses nouvelles fonctions, M. Breton ne s’exprime pas sur ce sujet. Un conseiller du commissaire européen le défend : « C’est facile, de critiquer l’héritage. Du retard dans le cloud ? Atos a été l’un des premiers à nouer des partenariats avec de grands américains. Trop d’infogérance ? Comment expliquer alors que, après le départ de M. Breton, le conseil d’administration ait voulu acheter DXC, spécialisé dans ces contrats ? Quant aux résultats, les derniers sous l’ère de M. Breton remontent à 2018 et ont été approuvés par le conseil d’administration et les actionnaires. Dire deux ans après que cela n’allait pas, ce n’est pas sérieux. »

Nouveau plan stratégique

Le conseil d’administration n’est pas épargné par les critiques, son président en tête. En raison de ses treize années d’ancienneté comme administrateur, Bertrand Meunier n’est plus considéré comme indépendant depuis début 2021. Or, il est rare qu’un groupe de cette taille, coté en Bourse et non contrôlé par un actionnaire, soit présidé par un administrateur non indépendant. « M. Meunier a la main sur le conseil », souligne Frédéric Genevrier, dirigeant d’OFG Recherche, un cabinet d’analyse financière spécialisé en gouvernance.

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Face à lui, les contre-pouvoirs sont faibles : Aminata Niane et Colette Neuville, administratrices depuis 2010, perdront leur indépendance dans les prochaines semaines. Conséquence : sur treize membres, seulement quatre seront indépendants, ce qui pose la question d’une nécessaire oxygénation de l’instance, qui compte dans ses rangs, depuis octobre 2020, l’ancien premier ministre Edouard Philippe.

En remettant tout à plat, M. Belmer espère « tourner la page ». Il promet, pour le printemps 2022, un nouveau plan stratégique, mélange de relance commerciale, de rationalisation des coûts, de simplification et de cessions d’actifs. « Ces ventes sont la clé de voûte du redressement », prévient un fin connaisseur du groupe. Endetté, Atos a absolument besoin de cash pour mener à bien son plan. Et espérer échapper au démantèlement.

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